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26 novembre 2015 4 26 /11 /novembre /2015 17:59
Squatteurs' story
Squatteurs' story

Squatteurs'story / Nancy seventies d'Alexis Gleiss

(Prix des lecteurs de Lorraine 2010)

« Par un beau soleil printanier, Monsieur Bertin, en sa qualité
de maire de notre ville, a inauguré hier après-midi, en présence
de nombreuses personnalités de la région, la tour Ville Vieille au
coeur du vieux Nancy.
« On se souvient des incidents qui avaient éclaté voici plus
d’un an, alors que le projet n’était encore qu’à l’étude. Des riverains,
une minorité il est vrai, avaient résolument manifesté leur
mécontentement. Aujourd’hui, sans doute ont-ils accepté la présence
de cette grande voisine. La cérémonie, en tout cas, s’est
déroulée dans le calme. À peine si quelques quolibets ont jailli
d’un groupe de curieux au moment où le maire coupait le ruban
inaugural et les forces de l’ordre stationnées à proximité n’ont pas
eu à intervenir.
« Souhaitons que cette nouvelle tour redonne du dynamisme
à notre ville vieille et qu’un regain de prospérité lui rallie les dernières
réticences. De nombreuses boutiques, un véritable centre
commercial, ouvriront sous peu au pied de l’édifice et les bureaux
des diverses sociétés déjà installées draineront dès demain de nouveaux
visiteurs dans les rues pittoresques de ce vieux quartier. On
ne peut que se féliciter du mariage de l’ancien et du moderne si
notre ville peut en bénéficier ».
Extrait du Courrier Lorrain Nancy



1
Nancy, ville vieille.
Patrick gara son vieux break 3 CV Citroën à l’entrée de la rue
Saint-Michel. Il coupa le contact et attendit quelques secondes.
Un coup d’oeil à sa montre. Trois heures du matin. Pas un chat
dans la rue. Il s’éjecta, dépliant son mètre soixante dix-huit,
claqua la portière, juste assez fort pour qu’elle ferme d’un coup.
On ne distinguait que ses yeux brun vif dans son visage mangé
par les poils.
Le crachin de novembre le fit frissonner. Le jeune homme
remonta le col de fourrure acrylique de son blouson de cuir et
tira sur son jean qui lui rentrait dans les fesses.
Par le hayon arrière du break, Patrick dégagea l’étui de skaï
noir qui contenait sa contrebasse et se mit en marche d’un pas
rapide, tricotant de ses longues jambes maigres. Ce serait quand
même plus pratique de jouer de la flûte. Il en avait marre de
trimbaler cet engin.
La rue Saint-Michel était une des rues chics de la ville vieille.
Elle comptait quelques professions libérales, leurs maisons cossues
dormaient à volets fermés, des murs surmontés de grilles
délimitaient les parcelles de chaque propriété. Plus loin, rue de la
Source, du Cheval Blanc, de la Charité, les immeubles vétustes
pullulaient et la population relevait du sous-prolétariat de tous

les pays ou presque. Plus les chômeurs intermittents, les proxénètes
occasionnels, alcooliques récidivistes et prostituées notoires.
Quelques intellectuels aussi, enseignants pour la plupart,
habitaient le quartier pour le charme de ses vieilles pierres et de
ses petits loyers. Quant aux commerçants, Grande-Rue et place
Saint-Epvre, à l’ombre de la flèche de l’église du même nom, ils
prospéraient sournoisement, pratiquant des prix plus élevés qu’au
centre ville.
Patrick s’arrêta devant le dernier pavillon avant le terrain vague,
isolé au bout de la rue. Au 41. Le numéro était encore lisible
au fronton de l’entrée. La villa, entourée d’un jardinet envahi par
les broussailles, s’élevait sur deux étages et semblait abandonnée,
tous volets clos.
Le jeune homme poussa la grille entrouverte, juste assez pour
se faufiler avec son instrument. Le bruit strident et insistant des
gonds rouillés lui arracha une grimace de contrariété. Première
chose à faire demain, songea-t-il, graisser cette foutue porte. Avec
d’infinies précautions, il repoussa la grille qui émit la même note
une octave en-dessous.

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26 novembre 2015 4 26 /11 /novembre /2015 12:02

 

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Les présentes conditions sont modifiables à tout moment sans préavis. le 1er septembre 2009 . Révisées le 14 novembre 2023

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22 septembre 2015 2 22 /09 /septembre /2015 11:02
Amnésie

Amnésie Serge Radochévitch ETT / Borderline

Il a pris un taxi, il a donné l’adresse, un quart d’heure vingt
minutes a annoncé le chauffeur, il n’a rien répondu, s’est contenté
d’un hochement de tête. Il regarde la ville qui se déploie devant
lui, sa ville, mais il ne se souvient pas, ne reconnaît rien.
Un matin, il s’est réveillé dans une chambre d’hôpital. Une
nouvelle naissance, pourrait-on dire, puisqu’il avait oublié tout ce
qui faisait sa vie avant. Il avait paniqué, vraiment. On lui avait expliqué.
Accident de voiture. Fracture du crâne et autres babioles.
Coma. Un mois ! Et quand il se réveille enfin, il est tout propre
et réparé. Enfin, presque. Un mois de convalescence et de remise
à niveau. Pénible. On prend soin de lui. Pénible. Tous ceux et
celles qui viennent le voir et qu’il ne reconnaît pas. Ses parents.
Tu t’appelles Pierre-Julien, je suis ton père, Patrice, et voici ta
mère, Fabienne, les médecins ont dit, ils parlent trop et trop vite.
J’ai coassé un merci d’être venus, esquissé un sourire, la fenêtre
est ouverte, il ne faut pas, à cause du brouillard, il entre partout
et m’empêche de respirer, fermez la fenêtre, merci papa merci
maman, ils sont partis.
Il fait beau dehors, je vois le soleil et je ris tout seul dans mon
lit. Parce que j’ai eu peur. Et maintenant, comme un gosse, je
m’émerveille, je n’ai pas tout oublié, je parle, je sais lire, écrire
et compter, merci maîtresse. Et ils sont revenus, papa, maman
et les autres, regarde la photo, c’est toi avec ton frère ah, il a un
frère – et puis celle-là, c’est Noël en famille, tu dois quand même
te rappeler… Non, il a hurlé, non, il ne se souvient pas ! Ils ont
eu l’air peiné. Il a fermé les yeux. Marre, vraiment marre. Il a
gardé certains automatismes, ne pas oublier de se raser le matin,
prendre une douche, s’habiller, pas de problème, sauf pour la
cravate. C’est comme un serpent qui lui glisserait entre les doigts.
Il la jeta dans sa valise. Pour plus tard. Il ne sait pas ce que sera
ce plus tard, mais ça ne peut pas être pire que ce trou noir, son
passé disparu au bord d’une route. Des fois, il a envie de rire.
Parce que c’est absurde. Parce que ce qui est ne devrait pas être.
Comme lui-même ! Ce choc, quand pour la première fois, il s’est
regardé dans le miroir de la salle de bains. Quel était cet inconnu
qui le regardait ? Un visage, le sien, il le tâtait du bout des doigts,
comme un aveugle. Il mit quelques jours à s’y habituer, puis à se
l’approprier. Il a une belle cicatrice, du milieu du front à la tempe
gauche.
- Vous êtes arrivé, monsieur !
Il sortit de la voiture, paya, au revoir monsieur, au revoir. C’était
donc là, un immeuble de cinq étages, avec un parking pour les
résidents, à ce qu’on lui a dit, il n’a plus de voiture, deuxième
étage, appartement 12, un F3. Il en fit le tour, humant, reniflant,
regardant tout et le détail, il était chez lui et ne reconnut rien. Pas
encore, se dit-il, mais ça viendra, demain, plus tard. Impression
d’étouffement.
Il sortit. Dehors, c’était plein soleil, juillet en été. Il resta planté
un moment sur le trottoir ; indécis, ne sachant que faire et où
aller. Une petite promenade dans le quartier, oui, ce serait bien,
se familiariser avec, alors oui, marcher un peu au hasard, ne rien
brusquer, laisser venir les choses et peut être…
Le quartier, c’était d’abord une grande place rectangulaire,
avec au milieu, un marché couvert, et tout autour, beaucoup de
boutiques, cafés-bars, restaurants. Son immeuble était un peu en
retrait, à deux rues de la place.
Sur une impulsion soudaine, il alla s’asseoir à la terrasse d’un
café-restaurant et commanda une bière. Il prit le journal local et
commença à le feuilleter.
- Voilà, monsieur Julien !
- Merci !
On le connaissait. Fascinant ! Le garçon, un grand échalas,
hésita, puis demanda, vous allez mieux, nous avons appris pour
votre accident… Julien répondit que oui, il allait mieux, n’étaient
ses pertes de mémoire.
- Vous voyez, je ne me souviens plus de votre nom !
- Alberto, monsieur !
D’autres clients arrivaient, Alberto alla les servir. Julien eut
l’impression qu’on parlait de lui. Cela l’agaça, il paya et partit. Il
fit quelques achats à l’épicerie du coin et rentra chez lui.
C’était chez lui et ça ne l’était pas. Avec la peur de ce qu’il
allait découvrir. Comment était-il avant ? Ses goûts, ses couleurs,
sa musique, cet appartement devait en avoir gardé la trace. Quel
serait le tableau final, lui plairait-il ou non ? Il pourrait tricher,
enlever ceci, ignorer cela, rajouter un peu de couleurs.
En plein délire.
Son médecin, un gars sympa et grand bricoleur de neurones,
aurait apprécié. Quand il était sorti du coma, il lui avait tenu un
drôle de discours.
- Vous êtes un voyageur qui arrive en terre inconnue. Vous
voyez des choses qui vous paraissent étranges, bizarres, incongrues,
d’autres qui vous étonnent ou vous émerveillent, d’autres
aussi qui vous font peur ou vous révulsent. Vous m’en parlez,
mais si vous préférez, vous pouvez les écrire.

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2 avril 2015 4 02 /04 /avril /2015 18:41


" Écrits de mémoire de Templier "


Il advint en son temps que mon père, le chevalier Antoine de
Rupt de Ville, vint en le pays d’Aragon par le détroit du Somport
sis entre les roches merveilleuses des hautes montagnes qui vont
du grand Océan à notre mer Méditerranée.
Mon père le fit pour se mettre au service des rois chrétiens.
Il leur porta secours par moult prouesses et avec vaillance à
l’encontre des Maures. Après, pour le remercier, le roi d’Aragon
l’hébergea en le castel de Loarre. On lui fit si bon accueil qu’il
y resta un temps plus long que celui des moissons. Ainsi il fit
sa cour à ma gente mère, cadette du sire es lieux. Quand il se
pourpensa à la demander en mariage, ce lui fut accordé.
En l’an de grâce onze cent soixante et deux après l’Incarnation
de Notre Seigneur Jésus-Christ, moi qui écris naquis de sa chair
en ce castel. J’y fus assez peu en enfance car le bruit des armes
m’éveilla tôt à ce métier. Après il advint que je fus fait bachelier1,
puis chevalier par le roi Alphonse II qui régnait de son fait glorieux
sur le royaume d’Aragon et le comté de Barcelone.
Ainsi j’entrai en ordre de chevalerie net et expurgé des mortels
péchés qui font mourir l’âme. Je me tins en cet état aussi longtemps
que je le pus et que Dieu le voulut.
Mon père avait un sien cousin qui s’était déjà croisé pour la
Sainte Terre de Palestine. Outre-mer, il était entré en la maison de
l’Ordre des pauvres chevaliers du Christ, gardienne du Temple de
Jérusalem « sanctum sanctorum in aeternam ». Ainsi je fus mandé
pour suivre sa voie. Ainsi je fus adoubé chevalier du Temple en
l’an de grâce onze cent et quatre vingt et cinq après l’Incarnation
de Notre Doux Seigneur.
Par ces écrits de mémoire qui disent ma folle vie, je confesse
mes fautes et péchés afin que Notre Doux Seigneur qui pour
nous souffrit martyre, me fasse pardon comme à tous ceux qui
se croisèrent. J’espère qu’Il m’aura en Sa Sainte Garde pour bien
moins m’éconduire que de m’accorder ses bienfaits.
Après, je rends grâce aux plus hautes dames que je vis en ce
bas monde, reines les plus belles, princesses les plus gentes, aux
nobles rois les plus saints, princes les plus loyaux et chevaliers les
plus preux et autre bonne gent.
Pour qu’un jour leur histoire parvienne en la connaissance du
monde quand viendra l’heure choisie par Notre Seigneur.
Dieu le veut

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2 avril 2015 4 02 /04 /avril /2015 18:30
Dix jours de canicule de Thomas degré

1
29 Juillet 1975 (?)


Il n’y a pas de commencement. Je me sens incapable d’attacher
une date précise à quoi que ce soit ; j’ai horreur des comptes,
des comptes à rendre, des comptes à rebours. Quand elle
m’a dit, à la terrasse d’un café, alors que je venais seulement de
lui adresser quelques mots, histoire de faire sa connaissance :
- Emmenez-moi au Mont-Saint-Michel.
Je lui ai répondu du tac au tac :
- Le temps d’aller chercher ma voiture et on y va !
Elle m’a souri en me regardant droit dans les yeux. Nous
sommes restés ainsi un long moment côte à côte, chacun assis
à sa table, à nous regarder et à sourire. Puis, en se rapprochant,
avec un léger accent qui me semblait venir de l’Europe du
Nord :
- Je plaisantais vous savez. En vérité, la seule chose qui m’intéresse
c’est l’argent. Si vous voulez passer un moment avec
moi, c’est cinq cents francs…
Sur le coup, j’ai été soufflé par tant de franchise, mais je
m’attendais à cette réponse, comme je vous l’expliquerai plus
tard. Instinctivement, j’ai porté la main à mon portefeuille,
sachant à l’avance que je ne disposais pas de la somme
nécessaire et je m’en suis voulu de tant de négligence. J’ai
hésité un instant avant de lui dire, le plus naturellement du
monde :
- Avec plaisir, mais je n’ai pas de liquide. Vous acceptez les
chèques ?
Là, son visage s’est légèrement durci, mais sans hostilité :
- Vous êtes naïf ou vous le faites exprès ? Ce ne sont pas les
banques qui manquent dans le quartier !
Elle pointa son index de l’autre côté de la rue pendant que
je consultais ma montre :
- Il est trop tard. À dix-sept heures, les banques sont certainement
fermées.
Elle eut un petit rire :
- Allez voir, on ne sait jamais…
- Vous croyez ?
Je me suis levé, lui affirmant que j’en avais pour cinq minutes,
et j’ai quitté précipitamment le café. J’ai traversé le boulevard
de la Madeleine comme un fou, manquant de me faire
renverser par une voiture, à deux reprises. J’étais content. Jusque-
là, tout allait comme sur des roulettes.
Arrivé devant les portes de la BNP, je n’ai pu que constater
leur fermeture comme je l’avais supposé. J’ai fait demi-tour
dans le même état d’excitation qu’à l’aller. Je n’avais qu’une
seule peur : qu’elle se soit volatilisée en mon absence. Mais je
l’ai aperçue parmi les consommateurs, assise à la même place,
belle, élégante, les jambes croisées sous sa jupe rouge, le visage
légèrement en arrière, offert au soleil de cette fin de juillet. Elle
m’a accueilli avec un air moqueur au fond des yeux :
- Vous êtes un drôle de type, quand même ! Vous êtes parti
en courant comme si c’était une question de vie ou de mort.
Et puis, on peut vous faire avaler n’importe quoi ! Tout le

monde sait que les banques ferment à seize heures !
- Alors, vous m’avez fait marcher ?
Elle se mit à rire franchement :
- C’est le moins que l’on puisse dire. Bon… Je resterais bien
avec vous à bavarder, mais je dois travailler, vous comprenez.
Je n’ai pas trouvé d’argument pour la retenir plus longtemps.
- Je vous reverrai ?
Elle m’a répondu sur un ton enjoué :
- Libre à vous, cher Monsieur.
Enhardi, je lui ai proposé :
- Alors vous savez ce que nous allons faire ? Demain, je vous
attendrai ici, à la même heure, et cette fois j’aurai du liquide,
d’accord ?
Elle a approuvé de la tête en se levant, est restée un instant
immobile devant ma table :
- Sans vouloir être indiscrète, vous avez déjà eu des relations
avec une prostituée ?
- Moi ?... Ce sera la première fois. Mais j’aime beaucoup les
fleurs de bitume…
Un sourire imperceptible flotta sur son visage. Je l’entendis
seulement murmurer : « Je m’appelle Ann ». Et elle s’est éloignée…
Je suis resté à contempler ma tasse de café en savourant ma
victoire. Le contact était établi, et c’était l’essentiel. Je revoyais
la tête de Monsieur Charles (le patron de l’agence où j’étais
détective stagiaire depuis six mois) au moment où je lui avais
exposé mon plan. Il avait émis un petit sifflement pour bien
marquer sa surprise avant d’ajouter :
- Pas mal, Polo !

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14 février 2015 6 14 /02 /février /2015 17:24
Chronique de la stagnation

" Chronique de la stagnation " Paul-Antoine Garisat

ETT / Territoires Témoins Collection Dépendances

210 pages 19,00 €

Prologue

J’étais là, et j’aurais bien voulu prendre part à la discussion
moi aussi, mais bien sûr ce n’était pas possible. Les gens
comme moi, les gens normaux, ceux qui travaillent et qui sont
honnêtes, on a plus le droit de parler de nos jours, on est juste
bons à écouter faut croire.
Y avait ce plateau de télé, avec cette bonne femme et tous
ces journalistes-experts, et ils arrêtaient pas de s’engueuler, et
parfois, sur certains sujets, ils étaient tous d’accord. D’ailleurs,
juste comme ça, juste une digression comme on dit, on sait
pas pourquoi y en a qui sont à la télé et d’autres non. Un
beau jour, on vous présente un type à une émission, que vous
connaissez pas, et on vous dit qu’il est intelligent et qu’il a des
choses à dire. Et le type, il parle comme ça pendant plusieurs
années. Il vous répète le même genre de trucs tout le temps, et
on sait pas pourquoi il vous dit ça.
Du coup, pour revenir à ce que je disais, à un moment la
femme elle a dit, au milieu de tous les autres qui gueulaient
eux aussi, elle a dit, entre autres choses, la chose suivante : Moi
je pense qu’on doit attaquer ce pays. Au nom de la démocratie ! Au
nom des droits de l’homme ! Et au nom de la paix ! Elle a fait
une pause entre chaque phrase quand elle a dit ça. Elle a bien
détaché chaque mot, pour avoir l’air le plus solennel possible.
On aurait dit une actrice.
Et là moi, j’avoue, j’ai pas compris. Parce que soit on est
pour la paix, et alors on n’attaque pas les gens comme ça, sans
raison, à l’autre bout du monde, et qui vous ont rien fait. Soit
on envoie les avions avec leurs missiles et leurs bombes, et on
va faire péter des marchés où y a des gens qui font leurs courses,
et qui vous ont rien fait, certes, mais peut-être alors que y
a d’autres raisons.
Et franchement, je veux pas dire, mais je pense que j’ai pas
été le seul à pas comprendre. Parce que tu mets n’importe qui
en face de toi, dans un café, dans la rue, ou à un arrêt de bus,
et tu lui sors une connerie pareille, eh ben je te garantis que le
mec il te rit au nez. Et si en plus tu te mets à insister, eh ben le
gars, je vais te dire, y a un moment où il va voir rouge. Et alors
méfie-toi, parce que s’il pense que tu te fous de lui et que t’essayes
de l’embobiner, crois-moi, c’est pas des conneries, c’est
possible qu’il te foute son poing dans la gueule. Et là faudra
pas venir pleurnicher. Mais bon, ça c’est ce que je pense, c’est
juste une digression.
Parce que c’est pas terminé. Ensuite, y a deux jeunes gars
qui sont intervenus sur le plateau. Heureusement, le service
de sécurité a été correct avec eux, ils les ont laissé parler. Les
caméras, elles avaient déjà tout filmé, donc c’était foutu, ils
pouvaient plus les faire partir. T’imagines toi, faire sortir deux
jeunes de force comme ça, devant des caméras ? Non, y a
quand même encore des formes à respecter. Y a des manières.
Alors les jeunes, je te le dis comme ça s’est passé, ils y sont
pas allés de main morte. Faut pas leur raconter des conneries
aux jeunes. Ça, ça les rend dingues qu’on leur raconte des
conneries. D’ailleurs, plus j’y pense, et plus je me dis qu’ils
auraient quand même mieux fait de les faire sortir. Parce que
franchement, là, vu comment ça s’est terminé...
Les jeunes ils se sont installés au milieu du plateau, comme
ça, comme s’ils étaient chez eux. Ils se sont dit que maintenant,
eux aussi ils pouvaient parler et dire ce qu’ils voulaient,
y a pas de raison. Alors ils ont dit ce qu’ils pensaient des autres
qu’étaient là, comme quoi c’étaient des menteurs éhontés.
Ehontés, ils ont bien dit. Des falsificateurs de preuves aussi,
et des vauriens manipulateurs, tout ça quoi, ils leur ont sorti
la totale. Ils étaient vachement excités quand ils parlaient, ça
faisait bizarre de voir ça à la télé, pour de vrai.
Les autres, du coup, ils se foutaient d’eux à cause de ça. Ils
avaient un petit sourire en coin. Parce que, pour eux, ça suffit
pas d’être sur le plateau, faut y avoir été invité. Et les jeunes,
eux, ils avaient pas été invités.
Mais ils se sont quand même pas démontés. C’est là qu’on
voit que eux aussi ils pouvaient être malins. Ils ont arrêté d’être
énervés, et ils ont commencé à parler plus calmement. Et ça a
tout changé, ça, de parler calmement.
Puis ils ont sorti des documents. Des documents officiels
qu’ils ont dit, où y avait pas mal de vérités qu’on raconte pas
en général. Des révélations. Et là, les autres, ils ont commencé
à flipper. Du coup, c’est eux qui s’excitaient. Et au fur et à mesure
que les jeunes disaient ce qu’il y avait dans les documents,
eux, ils devenaient de plus en plus excités. Disparu leur petit
sourire en coin. Effacé ! Parce que des révélations y en avait, et
c’était pas beau à entendre.
Mais autant vous dire que tout ça c’est pas passé comme ça,
tranquillement. Tout le monde a voulu parler du coup, ils ont
essayé de leur couper la parole plein de fois.
A un moment, la fille qui voulait faire la guerre, elle a même
demandé aux gars de la sécurité de faire sortir les jeunes. Mais
les gars de la sécurité, eux, ça les intéressait bien toutes ces histoires.
Et là j’ai senti que y avait comme un flottement, parce
que quand le service d’ordre il obéit plus, à mon avis, c’est que
ça commence à sentir mauvais pour les mecs en place.
La fille, du coup, elle devenait complètement folle, hystérique
même. Elle disait que de toute façon, tout ça, ça changerait
rien, parce que c’était eux qui gouvernaient, et que y aurait pas
de changement, quoi qu’il arrive. Même les jeunes, et pourtant
c’est eux qui avaient foutu la merde, ils étaient choqués
d’entendre ça. Eux non plus, je crois, ils s’attendaient pas à
entendre un truc pareil. C’est vrai que d’habitude, ces gens, ils
te disent pas des trucs comme ça franchement en face.
Et faut les remercier ces jeunes, parce que grâce à eux, après,
ça a plus été pareil. On est passé à autre chose. Ils ont été l’élément
déclencheur.

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14 février 2015 6 14 /02 /février /2015 17:07
Le chant des baleines

Le chant des baleines Didier Jung

ETT / TérritoiresTémoins

Collection Borderline 168 pages 16,00 €

1
Nuit du mardi 5 août : mer de Barents,
entre l’île aux Ours et le Spitzberg

Une heure quinze du matin. Tandis que le soleil remonte
à l’horizon, le corps sans vie de Jawad Afridi s’enfonce, mètre
par mètre, dans les profondeurs obscures et glaciales de la mer
de Barents.
A-t-il seulement, avant de mourir, connu l’ultime bonheur
d’entendre le mystérieux et envoûtant chant des baleines ?


2
Matin du dimanche 3 août :
aéroport d’Oslo-Gardemoen

Ange Morazzani observait d’un oeil distrait le ballet incessant
du personnel de l’aéroport. Juchés sur leur vélo, le coup de
pédale ferme, les employés parcouraient en zigzaguant la zone
de transit, sans but apparent. Le spectacle qu’ils offraient était
d’autant plus cocasse que le nouvel aéroport d’Oslo-Gardemoen
n’était pas parmi les plus vastes d’Europe. Sa réputation
résidait hélas ailleurs. Il détenait le record européen des retards
enregistrés quotidiennement ! Ce matin encore, le départ du
vol de Tromsø avait été plusieurs fois reporté.
Cela faisait deux heures que Morazzani était assis sur ce fauteuil
métallique, aussi froid qu’inconfortable. Au moins avaitil
échappé à la canicule qui régnait depuis plusieurs jours sur
Paris. Impossible de dormir, ni même de sortir de chez soi
avant la tombée de la nuit. Finalement, se disait-il, ses collègues
n’avaient pas été si mal inspirés en lui offrant cette croisière
pour son départ en retraite. L’idée lui avait a priori paru
saugrenue. Lui-même n’y aurait jamais pensé. Il était plutôt
classique dans ses goûts. Une croisière, pensait-il, c’était bon
pour les Caraïbes ou la Méditerranée, pas pour le Spitzberg,
un coin de la planète qu’il aurait été bien incapable de pointer
sur une carte. Sa surprise avait été grande de découvrir que cet
archipel se situait à moins de mille kilomètres du pôle Nord, à
peu près la distance entre Paris et sa Corse natale.
Morazzani ne mesurait pas plus d’un mètre soixante-cinq.
Ses cheveux frisés grisonnaient. Ses yeux très noirs donnaient à
son regard un air parfois inquiétant. Il s’exprimait lentement,
comme s’il réfléchissait avant de choisir ses mots, sans jamais
élever la voix, avec un léger accent traînant qui lui venait de
son île d’origine. On l’aurait facilement imaginé, revêtu d’un
costume de berger, au milieu d’un troupeau de moutons, perdu
dans le maquis qui entourait son village d’Oletta, au-dessus
du golfe de Saint-Florent.
À soixante ans, il avait derrière lui quarante ans de carrière
dans la police. Fraîchement débarqué sur le continent et
chaudement recommandé par un cousin, chef de service au
ministère de l’Intérieur, il avait débuté comme simple gardien
de la paix, à Paris. Intelligent, courageux, malin, ne comptant
pas son temps et surtout doté d’un flair devenu légendaire,
il avait patiemment et régulièrement gravi les échelons de la
hiérarchie policière, jusqu’au grade de commandant. Ses dix
dernières années, il les avait passées à la Brigade criminelle de
Paris, « au 36 », comme l’appelaient les initiés. Célibataire et
n’ayant guère d’autre centre d’intérêt que son métier, il avait
vu arriver la retraite avec angoisse. Aujourd’hui, l’échéance
était là et il s’interrogeait toujours sur la manière dont il allait
occuper son temps.
Curieux de tout ce qui l’entourait, perpétuellement aux
aguets, il n’aimait rien plus que disséquer la personnalité de
ses semblables. Pénétrer leur âme lui procurait la plus extrême
des jouissances. Dans la police, cette spécialité avait un nom,
le profilage. Morazzani était un profileur, l’un des meilleurs de
la Crim.
C’était précisément à ce genre de sport qu’il était en train
de se livrer, laissant traîner ses oreilles et errer son regard sur
ses voisins. La langue dans laquelle la plupart s’exprimaient ne
facilitait pas l’exercice. Le norvégien ne lui était pas familier !
La seule langue étrangère qu’il maîtrisait était l’anglais. Il devait
cette bonne connaissance de la langue de Shakespeare aux
programmes d’échanges avec Scotland Yard auxquels il avait
longtemps participé. Il comptait encore quelques amis dans la
police britannique.
À défaut d’appréhender les idiomes nordiques, il s’efforçait
d’identifier, en scrutant leurs traits, leurs attitudes, leurs mimiques
et leur mise, ceux des voyageurs qui avaient un profil de
croisiériste. Son bateau devait appareiller à dix-neuf heures du
port de Tromsø, pour une longue traversée vers le Spitzberg.
Dans la salle, les crinières blanches et les crânes dégarnis
dominaient. Il y avait une majorité de retraités parmi les
femmes et les hommes rassemblés autour de lui. Beaucoup
avaient largement dépassé la soixantaine. Joviaux et sans complexes,
ils échangeaient leurs impressions d’un banc à l’autre,
à grands renforts d’éclats de rire. Tous étaient sensiblement
vêtus à l’identique, portant des doudounes multicolores où
dominaient le rose et le violet, des tenues qui devaient provenir
de la même chaîne de magasins. Certains avaient déjà mis
des casquettes ou des bonnets de laine sur leur tête.
Mais le policier s’intéressait surtout aux autres, ceux qui
sortaient du lot commun. Un homme aux traits nordiques,
grand, très maigre, chauve malgré son apparente jeunesse,
portant des lunettes très épaisses, le visage taillé à la serpe, plutôt
mal habillé, était assis à l’autre bout de la salle, seul. Étaitil
norvégien, suédois ou danois ? Difficile à dire. Un jeune
homme de vingt-cinq ans environ, à l’allure d’étudiant, était,
quant à lui, absorbé dans la lecture, indifférent à son environnement.
Deux jeunes femmes, plutôt jolies, somnolaient,
blotties l’une contre l’autre. Un homme au teint basané, petit,
frêle, de type maghrébin, turc ou peut-être indien, faisait les
cent pas devant les panneaux d’affichage, l’oeil braqué sur les
horaires de départ, comme s’il craignait de rater son vol. Sans
doute n’avait-il pas l’habitude de voyager. Plus loin, un couple
entretenait une conversation animée, joignant volontiers
le geste à la parole. Des Italiens, à coup sûr, pensa le policier,
bien qu’il soit trop éloigné d’eux pour percevoir la moindre
bribe de leur discussion. De là où il se trouvait, la femme lui
sembla nettement plus âgée que son compagnon de voyage.
Ce jeu de devinettes que Morazzani pratiquait avec sagacité,
fut brusquement interrompu par le grésillement du hautparleur
qui précéda une annonce en anglais. La voix était déformée.
Morazzani dut se concentrer et tendre l’oreille pour
comprendre que l’hôtesse appelait les passagers en partance
pour Tromsø. Il constata alors, avec une certaine satisfaction,
que les voyageurs qu’il avait identifiés comme de probables
compagnons de croisière, prenaient tous la direction de la porte
D, où commençait l’embarquement du vol de la compagnie Braathens

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13 octobre 2014 1 13 /10 /octobre /2014 17:44
Sortie de route, la lecture de Valérie Susset (E.R.)
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9 avril 2014 3 09 /04 /avril /2014 17:09

A.C. Kingman
ETT / Territoires Témoins Collection Dépendances
www.territoirestemoins.net




Aimez-vous Melville ? Moi oui. Le cinéaste je veux dire, pas
l’écrivain. Remarquez que le premier a pris ce pseudo car il
aimait le second. Comme quoi rien ne se perd, rien ne se crée,
disait l’autre qui a fini la tête dans un panier : faut pas penser
trop, dans ce bas monde, au risque de se retrouver dans des
situations délicates.
De son vrai nom Jean-Pierre Grumbach, Melville aurait déclaré
: « Avant la guerre, j’étais juif et communiste ; maintenant,
je suis athée et gaulliste ». L’oeuvre de Melville est traversée par
la judéité, mais encore faut-il le savoir. Je vous expliquerai,
si vous êtes gentil, ha ha ! J’avais quatorze ans lorsque je visionnai
L’armée des ombres pour la première fois. Notre prof
d’histoire, encore une communiste, n’avait pas fait les choses
à moitié : Nuit et brouillard et L’armée des ombres en moins
d’un mois, histoire qu’on n’oublie jamais ce qui était derrière
nous… ou peut-être devant ? Sait-on jamais… Lorsque j’avais
cet âge-là, on entendait les mouches voler lorsqu’on évoquait
les camps. Le Pen au second tour ? Laissez-moi rire. « Qui ne
sait pas tirer les leçons de trois mille ans vit seulement au jour
le jour », a écrit Goethe. Nous la leçon, on la lit chaque année
en mangeant des pains azymes, histoire de pas l’oublier.
Après la projection, j’avais les mains moites et le cerveau
embrumé, j’étais sous le choc. Je comptais mes camarades
dans la classe : Marc, Shahir, Simon et Sylvia étaient avec moi,
c’est sûr. Laurent et Caro ? Peut-être. J’ignorais les autres qui
sortaient de la classe en riant.
C’est à cette époque que je commençai à mettre les tefillin.

" Couches-culottes et autres initiations " A.C. Kingman

" Couches-culottes et autres initiations " A.C. Kingman

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2 avril 2014 3 02 /04 /avril /2014 15:55

INFILTRATION par JM Brice

ETT / Territoires Témoins Collection Borderline

LIRE LE D2BUT

1.1




Juillet n’a jamais été aussi chaud. Bob frissonne de
plaisir à la brûlure du soleil sur son dos. Il a laissé sa
voiture, une Clio fatiguée et maintes fois rafistolée,
à la fin du chemin carrossable, posé la clé de contact
sur la roue arrière droite et poursuivi le chemin en
short et tennis, armé de son appareil photo.
Il a plu tout ce printemps jusqu’en juin et la Moselle
encore gironde roule généreusement ses eaux
claires. Il longe la zone des étangs creusés par les
Carrières de l’Est dans la prairie, il y en a quatre,
grands. Les trois premiers, les plus anciens, reflètent
le bleu du ciel et frissonnent sous la brise ; quelques
halbrans patrouillent à distance respectable, la végétation
commence à se développer sur les rives.
Bob a entendu parler de ce projet de la municipalité
de Gerville-aux-Miroirs qui souhaite installer ici
une base de loisirs nautiques, pourquoi pas.


Le quatrième étang est encore en exploitation. Il
entend le bruit de la drague qui remonte inlassablement
le précieux sable rosé et les graviers. L’eau est
trouble, l’exploitation se rapproche dangereusement
de la rivière. Pour pouvoir aller aussi près l’entreprise
a dû bénéficier de bons appuis, elle a dû aussi consolider
la rive en plantant vite fait de nombreux arbustes
maillés par un filet de jute épais sensé retenir le
sable pendant l’enracinement. Bien entendu le gel,
les inondations et la sécheresse ont eu rapidement
la peau de ces pauvres végétaux et les crues de l’hiver
ont embarqué le filet dont on retrouve des morceaux
pourrissant sur la rive en aval, mais bon ! les chiens
aboient la caravane passe, et puis ces matériaux, le sable,
les galets concassés, sont absolument nécessaires
à la construction des équipements de la région, alors.
Bob se dit que cette balade est l’une des dernières
qu’il fera dans ce coin sauvage demain certainement
dévasté.
Bob en fait s’appelle Julien Robert, comme le frère
de l’artiste dit-il en blaguant, mais depuis le collège,
Robert, tout le monde l’appelle Bob, pas grave. A
trente-huit ans, malgré les fils blancs dans sa tignasse
châtain, il a toujours son allure d’adolescent sympathique
et les filles lui résistent rarement, mais aucune
n’est restée suffisamment longtemps pour l’attacher à
une vie bien réglée. Il a bien retapé la petite maison
que lui ont léguée ses parents, au milieu du village,
il fait son bois, son pain et ses légumes et après avoir
travaillé quelques années à l’usine de mécanique de
la petite ville voisine, il a préféré la liberté du statut
d’auto-entrepreneur. Habile de ses mains c’est le dépanneur
rêvé dont tout le monde a besoin pour la
maison ou le jardin. Sa clientèle se développe, mais
attention à ne pas se laisser déborder, Bob veut avoir
le temps de vivre, vivre ses copains, ses copines, vivre
ses passions : la musique, la lecture, la photo.
Ce matin justement, le temps lumineux se prête à
ce projet d’aller photographier sa Moselle, comme il
dit. Il traverse la prairie redevenue sauvage et fleurie
à foison de jaune, de blanc, de mauve, elle atteint la
rive ici légèrement surélevée et fouillée par le courant.
Il s’arrête et regarde le paysage qui s’étend devant
lui éclatant sous le soleil. A sa droite une longue
étendue d’eaux calmes comme un lac, qui reflètent
les rives, ce sont elles qui ont qualifié le village de
Gerville-aux Miroirs.
En aval la pente naturelle accélère le courant et
la largeur du lit divise la rivière en plusieurs bras
qui isolent des bancs de galets parsemés de végétaux
luxuriants. Plus bas, les bras se rejoignent pour un
large gué, puis la rivière unifiée reprend son cours au
pied des falaises de marnes et de leurs grands arbres
en surplomb.
Il est seul. Il a jeté un coup d’oeil vers le bosquet
là-bas mais Raymond, le vieux naturiste qui l’occupe
souvent l’été, n’est pas là et aucun signe ne montre
qu’il y soit venu récemment.
Bob s’engage dans le courant du bras principal. Il
a calculé son coup en amont du point visé sur l’îlot
d’en face et progresse dans le sens de l’eau. Au milieu
du courant l’eau fraîche atteint sa poitrine. Les bras
levés pour protéger l’appareil il avance à grands pas,
comme en apesanteur, porté par le flot, il adore cette
sensation. Puis il aborde la rive, progressant maladroitement
sur les gros galets glissants du fond.
Au sec les galets blanchis réverbèrent la lumière ;
le bruit de l’eau, la chaleur sur sa peau mouillée, le
privilège de la solitude dans ce lieu sauvegardé, ce
plaisir-là ressemble au bonheur.
Le temps de s’imprégner de la magie de l’endroit,
Bob se met en marche, lentement, sens éveillés, l’appareil
aux aguets. Malgré sa prudence il dérange les
oiseaux, deux hérons et deux canes colvert qui s’enfuient
tranquillement, et les inévitables petits gravelots
qui volètent de loin en loin. Pour une fois il ne
verra pas ce petit bijou de martin-pêcheur mais la
photo au téléobjectif du héron prenant son envol ne
sera peut-être pas mal.
Des bouquets de fleurs poussent dans les galets
comme semés par un paysagiste habité : asters, silènes,
onagres, gerbe d’or, impatiences, serpolet, les
graines déposées là par les crues ont profité de la chaleur
et de l’absence de concurrentes.
Dans une morte, de gros chevesnes prisonniers espèrent
avoir de l’eau jusqu’aux prochaines pluies et
tournent en rond.
Bob traverse le gué en équilibre sur le fond glissant
vers la plage de sable rose de la rive voisine qu’on ne
peut atteindre que de cette façon. Elle est protégée
par une forêt de renouées du Caucase et d’orties gigantesques
d’un côté, et d’abruptes falaises écroulées
de l’autre.
Sur le sable de la rive de petites coquilles blanches
comme des coques et quelques unios percés par
les hérons, des branches de saules tranchées par les
incisives des castors. Plus loin les pas d’un renard
côtoient les traces profondes laissées par une biche
solitaire ; Bob s’émerveille.
Au détour d’une touffe de graminées, son regard
est attiré par un objet noir, légèrement enfoncé dans
le sable, insolite ; une mallette genre Samsonite vintage
semble avoir été déposée là par le courant il y a
déjà quelque temps à en juger par les algues desséchées
qui la recouvrent.
Un peu intrigué malgré tous les objets hétéroclites
que la Moselle aime à semer sur ses rives, il prend par
, réflexe une photo de la mallette et s’accroupit, elle
est fermée mais les deux petites serrures ne résistent
pas lorsqu’il les sollicite. Il la dégage doucement et la
pose bien à plat sur les galets voisins. Les charnières
se rebellent un peu mais bientôt la petite valise livre
un tas de papiers secs collés entre eux, salis par leur
séjour dans l’eau, et dont beaucoup semblent effacés,
ainsi qu’une clé usb.
Assis sur les galets, toute magie envolée, Bob essaye
de déchiffrer quelques documents, mais le lieu
n’est pas propice à l’étude et il décide de rapporter la
mallette à la maison.

Infiltration par JM Brice  ETT / Territoires Témoins Collection Borderline 160 pages 15,00 €

Infiltration par JM Brice ETT / Territoires Témoins Collection Borderline 160 pages 15,00 €

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