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14 septembre 2022 3 14 /09 /septembre /2022 14:10
Chute d'un séducteur

" Chute d'un séducteur "  de Rachel Valentin (réédition de "Délices d'amour amers").

 

INDEX DES PERSONNAGES
René-Igor Klupek, cadre commercial chez Floribo
Blandine Klupek, épouse de René-Igor
Véra Klupek, fille de René-Igor et Blandine
Lubim Klupek, père de René-Igor
Josée Klupek, épouse de Lubim et mère de René-Igor
Natoulia, grand-mère de René-Igor
Aleksei, grand-père de René-Igor
Li Zhou, universitaire chinois
Nuan Zhou, épouse de Li Zhou
Lucien Levène et Fabrice Dèledongau, syndicalistes chez Floribo
Patricia Leminion, employée chez Floribo
Sara Piccini, créatrice des Biscottini Bamburini
Mimmo, bras droit de Sara
Pascal Leroy, DRH chez Floribo
Clotilde Moucherot, disquaire
Jean-Claude Racine, commercial chez Floribo
Eliette Racine, épouse de Jean-Claude Racine
Brigitte Legris, alias Beaux-Yeux, parfumeuse
Estelle, amie de René-Igor
Sophie, amie de Clotilde, Sara, Christine et Patricia
Laura, amie de Sophie
Christine, amie de Sophie et Patricia
Jean-Christophe, compagnon de Christine
Raymond Niloc, président de Floribo
Hermeline Niloc, épouse de Raymond Niloc
Kevin Leblond, comptable chez Floribo
Olivier Deville, architecte amateur de grunge
Lazlo LeGoff, gitan
Englo LeGoff, fils de Lazlo
Omar, gardien de nuit chez Floribo

 

 


Au petit matin, l’équipe de ménage découvrit René-Igor
Klupek, 45 ans, directeur des ventes de la SA Floribo et fils,
tassé dans son fauteuil directorial ergonomique grand confort,
dossier en maille aérée anti-transpiration.
Lourdes paupières sur regard vert, bouche sensuelle, mâchoires
saillantes, un homme taillé pour les conquêtes. Charge
érotique inentamée. Ne serait le malencontreux petit trou, là,
sous la tempe gauche, juste au-dessus d’une folâtre mèche poivre
et sel barbouillée de rouge foncé.

 

Blandine Klupek mâchouillait un radis-cheddar-cresson extrait
d’un saladier d’argent aux trois-quarts vide. Le reliquat
des tonnes de canapés engloutis par ses hôtes avec le Roederer
millésimé. Elle-même lestée d’une demi-douzaine de minisandwichs
au foie gras arrosés d’autant de coupettes, se sentait
pour une fois en empathie totale avec le reste de l’humanité, y
compris les deux exotiques qui lui faisaient face. Lui, l’air d’un
communiant, tout raide dans son costume sombre et sa chemise
écrue, elle large tailleur pantalon, masque sévère encadré
de deux bandeaux de cheveux noirs.
Crinière drue séparée par une stricte raie sans virage, il avait
avec dignité descendu une bouteille à lui tout seul. Il tentait à
présent de rassembler ses idées, de ramener à la surface deux
ou trois mots de globish pour meubler la conversation.
« Blâânh deu blâânh ! You shouldn’t have, dear small madam ! »
Petite bouche en coeur, ça fait toujours de l’effet la bouche
en coeur et ça camoufle cette cochonnerie de bout de salade
coincé entre incisive et canine, Blandine opinait d’un air entendu.
« Mais comment donc, cher monsieur. »
Chou ? Il a dit quoi, là ? Misère. Qu’est-ce que je réponds ?
Je souris, voilà, je souris. En les attendant. Ils m’ont bien laissé
tomber. Qu’est-ce qu’il est allé nous chercher des Chinois ? Et elle,
qu’est-ce qu’elle fabrique ? Elle avait dit sept heures. Il est huit
heures passées.

Quarante secondes plus tard, porte qui claque, coups de
talons sur le parquet à faire exploser les vitres, Véra arrivait
précédée d’un grondement de tremblement de terre. Grande,
mince à l’excès, petite bouche en coeur, elle était la réplique
de sa mère, les lourdes paupières mises à part. Sans un regard
pour l’auteure de ses jours, sans un mot d’excuse, elle fondit
droit sur les convives, les gratifia d’un nihao caressant, suivi
d’une succession de sons gutturaux, et émollients à en juger
par le soudain relâchement des occipito-frontaux chinois.
« Ah, Véra ! Ma petite Véra ! Viens là que je te contemple. Tu
n’as pas changé. Comme tu es jolie ! Tu veux que je te dise ? Tu vas
rire. Ta mousse au chocolat-bergamote a un succès fou. Mais
si, je t’assure. Et tu sais pourquoi ? Non, bien sûr, tu ne sais
pas. Eh bien voilà, c’est tout simple. Nous l’avons inscrite au
repas de fin d’année de l’université et par voie de conséquence,
elle a fait son chemin dans le Tout Nankin. Elle circule sous le
nom de mousse Véra. C’est amusant, non ?
- Ma chère enfant, comme vous semblez sûre de vous à présent.
Loin de la petite étudiante que j’ai connue, humiliée. Si,
si, je dis bien, vous vous sentiez humiliée de devoir disséquer
une souris comme un lycéen de terminale, comme un bleu,
disiez-vous. Timide, mais le caractère bien trempé. Jamais un
autre que vous n’aurait osé claquer la porte du labo en fourrant
la souris dans la poche du professeur.
- Qu’est-ce qu’ils disent, mais qu’est-ce qu’ils disent ? Véra,
traduis, bon sang.
- Pas la peine, que des conneries. »
Blandine se renfrogna. J’en ai assez. Et la soirée ne fait que
commencer
. Ses hôtes bombardés d’un sourire Ultra Brite, aïe
le cresson sur l’incisive, elle arrêta là les effusions, annonça
qu’on passait à la salle à manger, bras tendus vers la table dressée
comme pour le président Xi Jinping en personne et pria
Véra d’excuser son père. Il viendrait un peu plus tard dans la
soirée, retenu par une délicate négociation avec des prospects
réputés intraitables en affaires, des Asiatiques, tiens, justement.
Coup d’oeil appuyé.

A une heure vingt, libérée de son corset de bonnes manières,
affranchie des minauderies qu’elle s’était crue obligée de
distribuer toute la soirée, Blandine, moulue de partout, s’affalait
sur la couette de satin polyester, un goût tenace de beurre
d’escargot dans la bouche et l’amertume aux lèvres. Sans un
mot d’explication, portable muet, il avait eu le front de la laisser
toute seule se dépêtrer avec les Chinois qu’il avait pourtant
lui-même invités. Enfin ! Véra avait assuré. Encore heureux.
Si quelqu’un est responsable, c’est bien elle. Le mandarin. Tu vois
un peu l’idée. Elle spécule sur l’avenir. Faire espagnol, portugais,
à la rigueur gaélique ? Pas opportun, surtout trop banal. Mademoiselle
veut toujours sortir du lot, faire son intéressante. Tout
son père. Et où il est à cette heure-ci, celui-là ? Chez une de ses
pétasses, évidemment.

Blandine se tournait, se retournait dans son lit et son estomac
précédait le mouvement, bourré de tourte aux grenouilles
et de coq au vin. Elle avait mis un point d’honneur à sortir
l’artillerie lourde à l’intention de ses hôtes. Ravis de tant d’exotisme,
ils avaient repris deux fois de tous les plats, saucé leur
assiette avec entrain, fait un sort à l’aloxe-corton 2010, grand
millésime, puis, roses et frais comme une aurore de printemps,
ils avaient pris congé tout en courbettes.
A peine rentrés à leur hôtel, les Zhou étaient tombés d’accord,
jamais ils n’oublieraient le géromé fondant ni le vacherin
mirabelle flambé sous leurs yeux, ingurgités en cette délicieuse
soirée pas même assombrie par l’absence du père de Véra.
Pourvu qu’elle fût là, elle, avec sa mère.
« Charmante, cette madame Klupek, s’attendrit monsieur
Zhou.
- Limite idiote, oui, rétorqua son épouse. »
Pas besoin d’avoir fréquenté l’Alliance française pour s’apercevoir
que cette grande blonde maniérée avait la conversation
d’un calendrier des Postes. Comment cette femme pouvaitelle
être la mère de la jeune étudiante surdouée, timide et
un rien caractérielle accueillie quelques années plus tôt par
monsieur Zhou dans son laboratoire de sciences appliquées
de l’université de Nankin ? Véra avait alors dix-huit ans et ce
désarroi des adolescents choyés tout à coup délogés du cocon
familial protecteur. Il s’en étonnait lui-même, le docte professeur
d’ordinaire imperméable aux états d’âme estudiantins,
avait été ému. Plus qu’ému. Remué. Les yeux verts, le sourire
hésitant, la silhouette gracile avaient secoué Li Zhou, stupéfait
de sentir à nouveau gronder en lui ce volcan à jamais endormi
croyait-il, furieux de n’y rien pouvoir. Il n’était pourtant pas
n’importe quel jouvenceau inflammable, il était Li Zhou, professeur
des universités et en cela grandement assisté par le monolithe
marmoréen qu’était son épouse, il avait toute sa vie su
maîtriser ses poussées éruptives inopinées.
 

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