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18 octobre 2025 6 18 /10 /octobre /2025 12:37
La mal-vie

La mal-vie MJ Gonand Stuck  Collection Borderline 228 pages 22 €

 

 

Lundi 22 septembre 2008

 

 

La grisaille m’enferme depuis deux mois. La lumière décline. Ma cellule alors rapetisse. La gardienne vient me chercher. C’est une costaude aux airs de brute mais qui n’en est pas une. C’est pourtant bientôt la fin des heures de parloir. J’entends les pas tristes des visiteurs qui rejoignent la sortie. Ma surveillante préférée m’annonce une visite au parloir. Ce serait quelqu’un qui veut m’aider à sortir de là.

Je suis habituée à mes désordres intérieurs. Je n’ai plus peur. Je ne me sens ni faible ni opprimée. Aussi je vais vite éconduire le courageux intercesseur et reprendre mes lectures.

Je la reconnais immédiatement. Une grande bringue à la tignasse blond vénitien, aux yeux vert pâle, au teint moucheté de rousseurs. En vingt ans, elle n’a pas beaucoup changé. Elle se lève quand j’arrive, me tend la main, se présente : Maître Laveline !

D’avocate je ne veux point. Je me sens capable de décrire la scène. D’ailleurs je l’ai fait auprès du juge. Mais sûrement pas d’expliquer le pourquoi du comment. Encore moins de me défendre. Mon mari est le seul capable de m’envoyer un défenseur susceptible de m’amadouer. Il a toujours fait ce qu’il fallait pour tenter d’arranger le coup. Mes coups.

La fille me demande si je me souviens. J’étais son prof en seconde et en première. Même que je la trouvais un peu brouillonne dans ses devoirs de français.

Je me rappelle surtout que comme déléguée de classe, Angèle jouait son rôle à merveille. De là est peut-être née sa vocation. Aux conseils, elle défendait avec ardeur ceux qui le méritaient. Moi, je ne mérite pas.

Nous sommes assises l’une en face de l’autre. Elle sourit. Un joli sourire, presque enfantin. Sans doute devine-t-elle mes réticences. Aussi elle précise illico qu’elle ne veut en aucun cas me contraindre.  Elle comprendrait mon refus de l’accepter comme conseil. Avec une ancienne élève, pas facile de raconter ce qui vous a amenée à la… chute. Il faudra en effet remonter dans le temps pour faire comprendre aux autres. Car il y aura les autres, de toute façon. Ce sera difficile mais elle saura être patiente. Je dois essayer de prendre nos rencontres comme des conversations amicales.

Là, elle y va un peu fort. La chute. Le mot me fait tiquer. Je n’ai pas vu cette fille depuis deux décennies. Jamais je ne parlais de moi avec mes élèves. Je n’ai donc aucune envie qu’elle se faufile dans ma vie. Je n’ai aucune envie de me disculper ou de me trouver des excuses. Je reconnais d’emblée ma culpabilité.

Elle enfile sa veste en jean et saisit sa sacoche. La semaine prochaine, elle reviendra. En attendant, je dois réfléchir. Elle sait d’expérience que parler me ferait du bien. Et mon mari serait tellement soulagé si j’acceptais. D’ailleurs il a beaucoup insisté pour qu’elle se décide à  me rencontrer.

Je me doutais bien que mon mari l’avait appelée à la rescousse. La rousse sait y faire. Son argument ne fait pas flop. Michel ne méritait pas toute cette chienlit. Il en avait déjà bavé avec mes égarements de jeunesse. Peut-être suis-je encore capable d’atténuer sa peine. Quel mot saugrenu pour la prisonnière !

Angèle appelle la gardienne qui me raccompagne à ma cellule de 9 m2. Je suis chanceuse. J’ai échappé au centre pénitentiaire surpeuplé pour atterrir à la maison d’arrêt de ma ville. Normalement, elle accueille les détenus coupables de délits mineurs ou en attente de jugement. Moi, je suis accusée. J’essaie de reprendre ma lecture. Les mots s’emmêlent. Le sens m’échappe. Je pleure. Ce sont mes premières larmes depuis mon incarcération en juillet.

 

Après deux nuits de réflexion et un appel insistant de Gabrielle ma fille fragile, j’accepte de revoir Angèle Laveline. J’ai toujours aimé raconter des histoires. Mais raconter la mienne d’histoire, surtout la fin, c’est une autre paire de manches. La cause de la mort est facile à identifier. Les empreintes parlent. Les hématomes aussi. Mais je n’ai rien pu expliquer au juge. Les faits, juste les faits bruts. Si je décris l’engrenage, si je remonte loin dans le temps, distinguer clairement la victime du coupable est parfois compliqué. Ça me permet à l’occasion d’éloigner la mauvaise conscience. Mais comment la justice et les gens vont-ils appréhender ce fatal enchaînement de circonstances ? Les autres, y a rien à faire, ils existent.

Je pose mes conditions. Nos conversations devront être enregistrées et je pourrai les réécouter à volonté. Il faudra que l’avocate ait mon aval pour utiliser mes mots dans sa défense.

 

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6 mars 2025 4 06 /03 /mars /2025 14:33
CASTOR AFFAIRÉ

CASTOR AFFAIRÉ histoires d'envoûtements 

Dorothée Xainte Collection dépendances 180 pages 18 €

 

 

 

Quel est le point commun entre une sorcière du haut Moyen Âge, un Amérindien de la
Nouvelle-France et un chapelier rouergat exilé à Londres ? Entre une demi-mondaine
parisienne et un leader syndicaliste arlésien ? Ou encore entre un exilé urbain et une créature hybride et fantasque ?
C’est lui, le castor, cet animal discret, fascinant, effrayant parfois, dont l’histoire reflète aussi notre rapport à l’animal.
Castor affairé raconte des histoires de sorcellerie et d’envoûtements où la peau, l’odeur, le parfum, l’instinct, la nature même du castor peuvent mettre subtilement des humains sous influence.

 

 

Prologue

Au début n’était que l’eau.
Seuls existaient les animaux aquatiques et semi-aquatiques
mais la vie n’était pas facile pour ces derniers. Alors le grand
castor prit une profonde inspiration et plongea dans l’océan
unique. Il nagea longtemps. Il faisait confiance à son grand
corps de près de deux mètres au pelage imperméable. Il devait
faire vite tout en s’économisant. Il aimait nager, les muscles
de ses pattes arrières et sa queue ondulant de haut en bas le
propulsaient avec régularité. Bientôt il n’y eut plus rien, ni son
ni lumière, seulement les battements de son coeur et la réserve
d’oxygène dans ses poumons. Au bout du grand rien, il tâta
de ses pattes une matière terreuse. Il en rassembla un morceau
et entama sa lente remontée vers la surface. Ses pattes et sa
queue se mouvaient à présent presque sans lui. Lentement,
calmement, obstinément. Quand il aperçut la lumière du
ciel, il sut qu’il avait réussi. À la surface, tous les animaux
l’attendaient et il leur montra, victorieux, la boule de terre
qu’il tenait entre ses pattes. Il la façonna habilement, l’aplatit,
puis la posa sur l’eau. Elle flotta. Bientôt tous les animaux en
ayant la capacité, castors, ragondins, rats musqués, plongèrent
à leur tour chacun ramenant son petit lambeau de boue pour
agrandir le continent flottant.
Et c’est ainsi que le monde fut.

 

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6 mars 2025 4 06 /03 /mars /2025 14:22
La petite gardienne des mots

La petite gardienne des mots                                                                             Prescilla Durand Collection dépendances 150 pages 16 €

 

 

1

Nell était une enfant sage, mais qui claquait parfois la porte

de sa chambre. Sans rien dire, furieuse, elle la fermait de toute

la force de ses bras de petite fille. Elle s’écroulait sur son lit

et calmait ses larmes seule, ses cheveux blonds collaient à ses

joues. Elle avait envie de tout casser mais quand elle ouvrait

à nouveau la porte, il n’y avait rien de cassé et plus rien à

montrer. Elle souriait, agréable, aimable. Il n’y avait pas la

place pour crier ici, ni même courir. L’appartement était trop

petit. Il n’y avait jamais la place pour elle.

Jamais la place pour ses mots.

Elle aimait se rouler dans l’herbe, chanter sur les balançoires,

grimper aux arbres. Dehors, c’était toujours mieux. Elle

s’imaginait s’enfuir un jour, partir à l’aventure. Par la fenêtre

de la voiture de sa mère, où l’odeur de tabac imprégnait les

sièges, elle guettait les recoins au dehors où elle pourrait se

cacher un jour et ne jamais être retrouvée. L’entrée de la mine

ici, la maison abandonnée, là. Elle créait des histoires pour

sortir de son monde, tissait ses mots entre eux dans le calme de

sa chambre, mettait une porte entre elle et les autres.

Elle ne l’ouvrait que de temps en temps, et la claquait devant

quiconque la contrariait.

Tu as bien dormi ? on lui demandait souvent. Parce que

la nuit elle parlait, on l’entendait dans tout l’appartement,

crier plutôt que parler d’ailleurs. Elle criait tout ce qu’elle ne

pouvait crier le jour dans l’étroite chambre qu’elle partageait

avec sa soeur Agathe. Elle ne se souvenait jamais de ce qu’elle

avait dit, les mots disparaissaient dans la nuit, et il lui semblait

bien dormir pourtant.

Sauf peut-être ce cauchemar qu’elle avait fait plusieurs fois :

sa mère quittait l’appartement, Nell tentait de la retenir en

pleurant mais elle franchissait le seuil, ne se retournait pas,

Nell la suivait dans les rues, criait maman ! jusqu’à ce qu’elles

arrivent à une montagne, avec cette route infinie qui se perdait

dans les arbres, sa mère montait dans un bus qui partait immédiatement.

Nell regardait les roues s’éloigner, impuissante,

vidant toutes les larmes de son corps.

Pourtant c’était son papa qui partait.

Il s’absentait toute la semaine pour travailler. Les vendredis

on l’entendait rentrer à travers les vieilles vitres des HLM, le

bruit de son camion prenait tout le parking. Dans la cuisine,

ça sentait toujours bon le week-end et le beurre crépitait dans

les casseroles. Quand Nell entendait le cliquetis du verrou à

l’entrée, elle guettait depuis la porte de sa chambre pour deviner

s’il était de bonne humeur. S’il souriait, elle lui sautait dans

les bras pendant qu’il retirait ses énormes chaussures dans lesquelles

on aurait pu mettre trois pieds comme celui de Nell.

Autour de la table, il racontait les blagues qu’il avait

entendues la semaine à la radio. Des mots drôles qui donnaient

le sourire à tout le monde. Il regardait les dessins faits à l’école,

félicitait les Bons Points. Puis en un claquement de doigt

arrivait le dimanche soir, maman préparait les sandwichs que

papa mettrait dans une glacière pour embarquer dans son

camion pour la semaine. De la rosette, du jambon, du pâté

tartiné jusqu’au trognon. Des sandwichs qui faisaient une

demi-baguette, elle n’aurait jamais réussi à en manger même

la moitié d’un. Papa était grand et fort, comme ses grandes

chaussures, ses grands sandwichs, son énorme camion et sa

gigantesque voix.

Sa voix, elle devait aussi traverser les vitres c’est sûr. Souvent

elle envahissait tout l’appartement quand il n’était pas content.

Le mieux était de rester derrière la porte. Il ne fallait pas pleurer

ou s’énerver devant lui. Tout de même, il ne travaillait pas

toute la semaine pour nous retrouver fâchées.

Sinon, est-ce qu’il reviendrait ?

 

 

 

 

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15 janvier 2025 3 15 /01 /janvier /2025 16:24
Bloody mafia

Bloody mafiia Sébastien Paci Collection Borderline 256 pages

 

PROLOGUE

 

Qui est un homme ne prend pas peur

Novembre, Tirana (Albanie)

Trois jours. Cela faisait trois jours que la capitale albanaise
était délavée par une pluie froide et pénétrante. La pollution
grise et poisseuse qui étouffait la ville se déposait insidieusement
sur la peau des Tiranais. Ici, le plomb et le souffre du
diesel des vieilles voitures allemandes intoxiquaient jusqu’aux
us et coutumes du pays. La corruption gangrenait tout le tissu
social ; c’est pourquoi il valait mieux être prévoyant avant toute
démarche administrative, aussi banale fût-elle, et s’assurer
que son portefeuille contenait suffisamment de coupures de
1000, 2000 voire 5000 Lekë.

Mirjan Hohxa, affalé sur la banquette arrière en cuir élimé
de la Mercedes Classe C, regardait à travers la vitre attaquée
par les trombes d’eau, le fleuve Lana s’étirer sur sa gauche le
long du boulevard. Il avait déposé un gros sac à dos bleu qui
avait baroudé, son unique bagage, à côté de lui. Il l’avait recouvert
de son manteau kaki, long et épais, avec de la fourrure
à l’encolure et dans le capuchon. Cela faisait plus de deux
heures que la radio grésillait en bruit de fond. Le chauffeur
et le client n’avaient pas échangé un seul mot depuis que ce
dernier avait répété d’une voix caverneuse et sonore l’adresse
de destination : « Tirana - bulevardi Gjergj Fishta ». La première
fois, le conducteur, surpris, avait préféré s’assurer qu’il
avait bien compris. Il avait bien compris. La perspective des
quelques dizaines de milliers de Lekë compenserait bien le
malaise qu’il avait immédiatement ressenti. D’ailleurs, quand
le patron du café Francezi l’avait appelé pour lui proposer la
course, il soupçonna un plan foireux :
– Julian, t’es disponible pour un bon client ?
– Il est tard… Je suis sur le point de rentrer chez moi, Gazmend.
Il veut aller où ton bon client ?
– En ville…
– En ville ?
– Il est juste là, en face de moi et il veut savoir tout de suite…
– C’est pas la porte à côté ! mais bon… S’il paye, pas de
problème. Vas-y… Je serai devant le bar dans 5 minutes.
La proximité de la prison de haute sécurité lui avait mis la
puce à l’oreille. C’était l’une des deux seules du pays à détenir
des condamnés pour crime organisé.

Mirjan Hohxa n’en pouvait plus. La course était interminable.
À l’excitation de savoir maintenant proche l’heure où
il allait enfin renoncer à sa vie d’avant, s’ajoutait l’inconfort
chronique devenu insupportable des conditions spartiates du
voyage. Ses jambes étaient engourdies par le manque de place.
Il souffrait beaucoup et sentait que ses nerfs lâcheraient au
moindre prétexte.
– On est arrivés, monsieur…
Le chauffeur regarda dans le rétroviseur central le molosse
qui l’impressionnait. Il devait bien mesurer dans les deux
mètres et sa carrure faisait penser à celle d’un Rocky Balboa
shooté aux stéroïdes anabolisants. Sa musculature exagérée
débordait de tous ses vêtements. Sa chemise blanche, dont les
pans tenaient miraculeusement par de petits boutons nacrés
sur le point de rompre à chaque inspiration, contenait difficilement
son cou aux veines saillantes sous une peau basanée.
Ses cuisses tendaient si fort le tissu d’un pantalon chino gris
perle qu’on se demandait comment les coutures avaient pu
résister à une telle pression.
Mirjan Hohxa sortit de sa torpeur. Il plongea son regard
dans celui du conducteur qui s’en détourna immédiatement
pour fixer la route, les deux mains agrippées au volant. Des
sourcils épais soulignaient de grands yeux noirs entourés de
cils longs et bien recourbés dignes des meilleures publicités
pour mascaras. Sa bouche lippue paraissait attendre le moment
opportun pour vous dévorer tout cru. Enfin, une barbe fine
parfaitement taillée donnait à la forme carrée du visage un air
de supériorité incontestable. Mirjan Hohxa était d’une beauté
troublante.
– Laisse-moi ici, au coin de cette rue.
– Il pleut vraiment beaucoup, monsieur. Je me ferais un
plaisir de vous déposer à l’adresse de votre rendez-vous.
– Je t’ai dit de me laisser ici.
Le chauffeur gara sa voiture à l’entrée d’un carrefour en évitant

de bloquer la circulation. Il laissa le moteur en marche et
se retourna en avalant sa salive avec difficulté.
– J’ai fait au plus vite. J’espère que la course vous aura donné
satisfaction… Ça fera 25 000 Lekë, s’il vous plaît, monsieur.
– Pardon ? J’ai mal entendu…

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15 janvier 2025 3 15 /01 /janvier /2025 15:56
On n'est pas sérieux quand on a soixante-dix ans

On n'est pas sérieux quand on a soixante-dix ans                                                      

Anne de Rancourt  Collection Dépendances 200 pages

 

Départ

La porte vient de se refermer sur un Gaëtan chargé des ultimes
cartons que Laure lui a tassés dans les bras au risque de
lui boucher la vue.
Peut-être l’a-t-elle un peu aidé à sortir, au moyen d’une tendre
bourrade entre les omoplates avant de claquer une porte
entre eux.
Ce n’est pas sûr. L’inverse non plus.
Par l’oeilleton, elle a observé quelques instants la tête aux
cheveux rares, les précautions dans la démarche lente vers le
bas de l’escalier ; la pile de cartons a un instant vacillé, mais
l’homme doit avoir un certain sens de l’équilibre : en fin de
compte, rien, ni personne, n’a chu. Rassurée - par quoi ? - elle
s’est discrètement retournée vers sa vie de liberté après avoir
aveuglé le judas.

Laure pousse un hurlement de joie silencieux : un hurlement
de joie hurlé pourrait être douloureusement perçu par
Gaëtan qui titube encore dans l’escalier : privé de ses deux
mains par la charge, il n’a pu appeler l’ascenseur. Quatre étages,
c’est pas l’amer à boire.
Pas la peine d’en rajouter, elle ne clame pas son euphorie.
Dos contre la porte fermée, la jeune femme se contente de
plier son avant-bras droit à la verticale, avant d’effectuer, poing
serré, un énergique mouvement vers le sol, tout en criant -toujours
à voix basse - un YES ! sifflant cette sensationnelle sensation
de soulagement salutaire soudain sacrément salvateur.
Elle pose les deux coupes qu’elle tient encore à la main : la
sienne et celle qu’elle a reprise à Gaëtan juste avant de le lester
de cartons. Au sol, quelques gouttes de champagne, participation
involontaire du verre pas tout à fait vide au moment du
geste de victoire.

Non, elle n’a pas eu envie de les accompagner, lui et ses
derniers paquets, ni pour leur ouvrir la voie jusqu’à la camionnette
de location garée en double file, ni jusqu’à son nouvel
appartement parisien pour voir Comme (il) sera bien installé
dans (sa) nouvelle vie (amoureuse). Elle n’est pas certaine
d’avoir entendu le dernier adjectif. Elle n’a pas de souci à se
faire, a-t-il ajouté à mi-voix, espérant qu’elle s’en fît un peu
tout de même.

Non, Laure ne se fait pas de souci pour Gaëtan, elle sait
qu’il va gérer sa vie parfaitement sans elle. Et qu’il ne s’en fasse
pas non plus pour elle, a-t-elle ajouté aimablement, quoique
l’expression « gérer sa vie » lui paraisse stupide : elle préfère,
personnellement, vivre la sienne. Sans lui, désormais.
Non, Laure n’a pas voulu du dernier coup de balai mollement
proposé par celui qui débarrasse le plancher en y laissant flotter
sa poussière : elle se fera une joie de nettoyer-jeter-gommer les
traces, les effluves, les revues et trophées de foot, les affaires
laissées là « provisoirement », qu’il « passera reprendre dès que
possible », oui, oui, bien sûr.

Non, elle ne craint pas de souffrir de la solitude, merci, au
revoir Gaëtan, abrégeons les adieux, sois prudent sur la route,
attention aux cartons, hop, je t’aide un peu à sortir, voilà.
CLAC. Contrôle à travers le mouchard. Yes ! gouttes de champagne
au sol. La liberté commence.
Laure se frotte les mains et retrousse ses manches d’un seul
mouvement. Elle sait faire ça, Laure.

Bon.
C’est ainsi que commencent, souvent, les grandes décisions.
Alors elle dit Bon.

Printemps égale nettoyage de printemps, continue-t-elle.

D’abord ouvrir les fenêtres au large : mars diffuse
généreusement les premiers parfums d’un printemps lorrain
étonnamment précoce. Le soleil s’efforce de prouver qu’il est
le plus fort dans le combat qui l’oppose à l’hiver moribond.
Les gens marchent d’une allure plus sereine, elle se dit, Laure.
Elle le sait, la belle saison finira par l’emporter. Et même si la
pluie s’en mêlait, elle serait belle.
Laure observe d’en haut le départ de la camionnette mal
garée et surchargée puis respire profondément, joyeusement,
librement. Elle agite la main, à tout hasard. Le mouvement
ressemble un peu à celui de qui voudrait éloigner un moustique
importun. Puis Laure revient sur ses pas, ramasse le balai
par terre, balaie le sol et l’insidieux sentiment de culpabilité
qui tente de se frayer un chemin dans le soulagement qui
revendique l’espace intégral de ses émotions.

Par pur plaisir, comme en un geste rituel décisif, elle ferme à
clef la porte. En claquant dans le dos, en faisant disparaître de
sa vue les cliques de et les claques (jamais données) à Gaëtan,
cette barrière entre leurs deux vies vient de lui offrir un instant
d’une joie rare. Une joie pure, précise-t-elle à voix haute. En se
refermant, cette porte lui donne les clefs du monde qui s’ouvre
à elle. Du bout des doigts elle envoie un baiser à ce symbole de
liberté à serrure trois points, se retourne, fait face à sa nouvelle
vie, lève les bras en V, aïe l’épaule gauche, avant de rectifier, à
voix forte : Non, ce n’est pas une nouvelle vie qui commence,
c’est la même qui continue. En mieux !
Elle lâche le manche du balai, après tout, elle a le temps de
« donner un p’tit coup d’propre ». Elle bloque derrière son
oreille une mèche de cheveux châtain rebelle qui retombe aussitôt,
hésite un très bref instant. Puis, d’un pas déterminé, va
chercher un ouvre-bouteille dans un tiroir de la cuisine, une
cannette de bière au réfrigérateur, la décapsule, la vide au goulot,
sur place, presque intégralement, tourne sur elle-même
avant d’improviser une chorégraphie sauvage. Elle échoue sur
un fauteuil qui lui tendait des coussins bienveillants. Ouille,
le bas du dos.

a

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10 juin 2024 1 10 /06 /juin /2024 10:03
Terminus Café

Terminus Café  Serge Radochévitch Collection Borderline

 

1

Brouillard. Il ne voit pas à dix mètres.
Il marche. Ça monte doucement, mais ça monte. De chaque
côté de la route, les arbres en sentinelles, fantômes aux doigts
crochus, semblent vouloir le retenir.
Brouillard. Mais aussi cette odeur de brûlé.
Il marche comme dans un nuage, c’est froid et humide, ça lui
colle à la peau comme des images souvenirs, un livre aux pages
écornées qu’il a emmené avec lui, toutes ces pages qu’il a envie
d’arracher… Un père qu’il n’a jamais connu, mais qui lui a donné un nom,
Rossi, Bruno Rossi, merci papa, une mère alcoolique et droguée,
merci maman, il avait dix ans quand elle est morte d’une
overdose.
Putain de brouillard ! Les jambes lui brûlent.
Bruno, mon petit Bruno, il entend encore la chanson, viens
chez Tonton, embrasse Tatie, Tonton flingueur, Tatie à claques.

 

Quatorze ans. Son premier boulot chez Jeannot le garagiste, un mec sympa
qui lui a tout appris sur la mécanique, sur la vie en général.
Et maintenant, sa vie en loques, culture en friche.
Essaie de ne pas rester trop con.

Saloperie de brouillard. Faut pas rester ici, mon gars !
Pandémie, épidémie, tornades et incendies.
Moi, je ferme boutique. Au revoir, M. Jeannot !
Au revoir, fiston ! Et fais gaffe où tu mets les pieds. Tu sais où
tu veux aller ? Non, il ne savait pas. La montagne ! Oui, c’est
une bonne idée, mais faut assurer. Bonnes godasses, vêtements de
rechange. Pour la pluie, le vent, la neige, d’accord on est en été,
mais comme tout est déréglé… Faut assurer, mais aussi, c’est le
plus important, les mauvaises rencontres, t’es costaud, t’es rapide,
ce n’est pas suffisant.
Et il lui avait fourni le matos qui lui semblait nécessaire :
machette, poignard, canne de montagne. Il avait dit adieu à
Tonton et Tatie qui étaient contents de le voir partir.

 

Il a dix-huit ans. Et il a mal aux pattes. Quatre heures qu’il
marche. Et du paysage, il n’a pas vu grand-chose.
Il s’arrête. Cela s’est fait d’un coup, comme au théâtre quand le
rideau se lève. C’est ce qui vient de se passer, quelqu’un est venu
effacer toute cette saleté de brume et brouillard, merci monsieur
soleil. Et les collines font le dos rond.
C’est calme et paisible. Reposant. C’est ça, on fait une pause.
Et il a faim. Un petit coin herbeux et un arbre pour se caler le dos.
On déballe. Entrée : pain, saucisson sec. Plat : salade de tomates,
oeuf dur, pain et fromage, fruits, eau plate. Petit repas sur l’herbe.
Merci de ne pas déranger.

 

La fourgonnette, qu’il avait vue au loin monter la côte, venait
de s’arrêter à quelques mètres de lui. Tout en continuant à manger,
il sort de son sac le couteau cran d’arrêt et le pose dans l’herbe
à côté de lui. Coup d’oeil rapide.Véhicule en bon état. Couleur
bleu foncé. Pneu avant droit presque à plat.
- J’crois bien que j’ai crevé !
Le conducteur était descendu et examinait les dégâts. Un hom13
me, taille moyenne, plutôt trapu. La quarantaine. Il se leva et
s’approcha.
- C’est sûr ! Va falloir changer la roue. Je peux vous aider.
- Tu as l’air de t’y connaître !
- Un peu oui. Avant, je travaillais dans un garage.
- Bertrand Marchal, marin pêcheur !
- Bruno Rossi, mécanicien !
Marchal sortit un paquet de cigarettes.
- T’en veux une ?
Ils fumèrent tous deux en silence. Puis Marchal demanda.
- Si tu veux, je peux t’y emmener, plus loin.
Il s’arrêtèrent le soir, dans un petit village. Personne dans les
rues. Les gens ont peur. De quoi, de rien ! Du vent qui souffle,
de l’air qu’ils respirent, du voisin, de la voisine, de ceux d’à côté,
masques et bergamasques, c’est le grand carnaval.
- On trouvera rien à manger, bougonna Bruno !
- Ne t’inquiète pas, j’ai tout ce qu’il faut. Mais si on peut
renouveler les provisions… On va faire le tour du village, à tout
hasard.

 

Le hasard fut bon prince, une petite épicerie encore ouverte.
Bertrand acheta ce qu’il fallait, le nécessaire pour une soirée et
le surplus pour les jours suivants – on ne sait jamais ce qui peut
arriver, surtout en ce moment ! Il avait insisté, c’est moi qui fais
la tambouille, je n’étais pas mauvais cuisinier, avant, oui avant…
A la deuxième bouteille de vin, il se mit à parler, raconter son
histoire.

 

 

 

 

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13 mai 2024 1 13 /05 /mai /2024 17:14
Heurs et malheurs de l'enseignant Peruzzi

Heurs et malheurs de l'enseignant Peruzzi > Jacopo Marretti

 

1

 

Je vis dans une ville où il pleut toujours trop. Je
rentre dans la salle et j’ai aucune envie de faire cours.
Aucune. J’ouvre la porte et je tiens mon cartable dans
les mains, mais je pense à mes oignons et pas à ce que
je vais dire. J’ai mes problèmes.
Je pense à Jessica, à mon livre, au foot, à mon pull
troué. Et c’est là qu’elle se met à parler. Au milieu
des « T’as préparé les maths ? » « Tu sais pas ce qui
s’est passé hier ? » « J’ai rien révisé, mon daron va
m’défoncer ce soir ! » « La vie de ma mère, tu me
casses les couilles ! »
Elle m’avait déjà parlé. C’est normal. Mais jamais
comme ça.
Elle est assise en face de moi. Seule. Je m’installe,
j’allume l’ordinateur et je lui lance un : « Pourquoi
t’étais absente la semaine dernière ? » Mais je le dis
comme ça, comme on demande « Ça va ? » quand on
croise un collègue, et qu’on s’en fout de sa réponse.
C’est une question sans prétention, qu’elle prend très
au sérieux.
- Parce que j’ai tenté le suicide, qu’elle me répond.
Elle s’appelle Inaya, elle a 14 ans, elle est dans ma
classe de 3ème au collège C., à D.-sur-l’Escaut, près de
Lille. Elle sourit tout le temps. Donc elle me sourit,
encore une fois, quand elle me parle comme ça.
Un « j’étais malade » m’aurait largement suffi !
Mais non, elle voulait être honnête, chose qu’on
fait rarement de nos jours, et quand ça arrive, quand
on est vraiment honnête, ça prend les autres un peu
au dépourvu.
Elle continue de parler, pendant que les camarades
discutent de tout et de rien, et que je suis le seul à
l’entendre. Et on dirait qu’elle me raconte sa soirée
pyjama, parce que, si on enlève le son de cette bouche
qui bouge, et qu’on le remplace par un discours plus
léger, ça marcherait vachement mieux. Car ses yeux
sourient, sa voix est normale, le rythme de sa parole
est calme. Elle semble tranquille. Je dois avoir le mauvais
doublage du film, parce que moi j’entends :
- Oui, parfois ça m’arrive, et alors ils m’emmènent
à l’hôpital, et je dois y rester quelques jours. Le
docteur dit que je suis dépressive. Parfois ça va. Mais
y’a des jours ça revient et alors je dois faire attention
à ne pas faire de conneries. À ne pas en faire encore.
Ne vous inquiétez pas, aujourd’hui ça va. J’ai pris
mes médicaments, et ça va mieux !

 

Après ça, j’ai fait mon cours. Je leur ai appris des
mots que la plupart d’entre eux ne réutiliseraient
jamais. J’ai dit des trucs qu’ils oublieraient très vite.
Bref, j’ai fait mon devoir de prof.
Puis la sonnerie a retenti. J’ai vite expédié tout le
monde et, vu que je n’avais pas d’autres cours, j’ai
fait ce que je fais à chaque fois que quelque chose
d’abstrait me ronge.
Je bois.

 

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26 janvier 2024 5 26 /01 /janvier /2024 16:54
Une Meteor pour monsieur Charles

Une Meteor pour monsieur Charles                 

Daniel Konieczka  ETT Collection dépendances 144 pages 16,00

 

 

CHANSON DOUCE

 

C’était il y a quelques jours. Quand je suis arrivé
avec mon groupe d’enfants il était planté là comme
une cire figée. Ce n’est pas la première fois que je
le trouvais ainsi. C’est tout juste si je n’ai pas dû le
pousser pour qu’il nous laisse une petite place. Visiblement
il voulait se la garder pour lui tout seul, la
petite princesse de Bergheim. Il s’est écarté à regrets,
en claudiquant… Mais je l’ai bien entendu prononcer
ces mots dans un souffle, en se retournant, comme
s’il voulait me prendre à témoin.
« Tous les dragons de notre vie ne sont peut-être
que des …. ».
La fin de la phrase je ne l’ai pas bien entendue.
Ça m’a laissé un peu interloqué. Mais bon, faut
pas trop chercher à comprendre, c’est Charles, monsieur
Charles. Un des gardiens du musée.
« Tous les dragons de notre vie ? »
Il n’est pas ici depuis très longtemps mais il a déjà
sa petite réputation. Un peu bizarre, il faut même
parfois le rappeler à son travail. Bien sûr on peut
s’arrêter devant des oeuvres et se perdre dans leur
contemplation, mais quand la contemplation devient
hypnotique et qu’elle gêne le passage des visiteurs…
Et puis ce n’est pas parce qu’on a le privilège de travailler
dans un musée qu’on peut se permettre de se
servir ainsi directement dans les rayons. Est-ce qu’un
employé de supermarché peut goûter aux pâtisseries
ou aux fruits présentés à l’étalage ? Sûrement pas…
J’ai enfin pu installer les enfants devant la peinture,
le retable de la commanderie des Templiers de Bergheim.
Une de celles qu’ils préfèrent.… Parce qu’ils
y retrouvent leur trio de légende, une princesse, un
dragon et un chevalier. Une licorne serait un atout
supplémentaire.
C’est une légende qui est peinte ici, les enfants
aiment que je la leur raconte.
— Il était une fois un dragon qui vivait dans une
grotte à l’entrée de la ville. Chaque semaine poussé
par la faim il sortait de sa tanière. Il fallait vite le rassasier,
car les flammes qui sortent de sa gueule pendant
ses crises de fureur pourraient bien tuer tout
le monde et mettre le feu à la ville. Au début on lui
donnait deux brebis à manger, ça le calmait. Mais
bien vite tout le troupeau y est passé. La ville allait
être détruite. Le roi a dû prendre une cruelle décision
: son repas hebdomadaire on allait le tirer au
sort, deux personnes à sacrifier pour prendre la place
des moutons. Des jeunes filles ! De la chair tendre et
fraîche. Il les engloutissait toutes crues. Parfois une
seule, plus dodue, lui suffisait. Repu, il s’endormait
comme un lézard au soleil.
Le jour est arrivé où il les avait toutes mangées
les filles du bourg ! Fallait pas le laisser à jeun, le
monstre. Poussé par la foule, le roi a dû se décider. Et
donner la seule qui restait, même si c’était sa fille !
C’est elle qu’on voit là, sur la pierre.
Est arrivé ce qui devait arriver… Croquée toute
crue !
Et bien non, pas du tout. Même pas peur, la princesse !
Regardez ses mains, elle s’apprête à défaire sa
ceinture. Mais non elle ne va pas se déshabiller ! Sa
longue ceinture elle va la passer au cou du dragon et
le ramener en laisse tranquillement dans sa grotte.
C’est plus facile car le dragon est blessé, le chevalier
lui a donné un coup de lance. Mais écoutez-la :
— Tu crois m’impressionner avec ton armure dorée ?
Prétentieux ! Pourquoi l’as-tu blessé ? Range ton
épée ! Avec ma beauté et ma douceur, mes seules armes,
regarde, espèce de brute, j’ai le pouvoir de venir
à bout de tous les dragons du monde, même ceux qui
hantent tes cauchemars. Avec ma ceinture magique,
je peux tous les apprivoiser !


Le Combat de saint Georges et du Dragon, c’est
le nom de cette scène du retable de Bergheim. Mais
saint Georges avec son armure plaquée or a tout l’air
d’un accessoire décoratif superflu.
Le dragon, lui, est assez curieux. En fait c’est un
lézard, le peintre a dû prendre modèle sur celui qui
logeait dans une fissure du mur de son atelier. Mais
il en a gonflé le corps à grand renfort d’injections
d’anabolisants pour en faire une créature qu’il voulait
effrayante. Pour moi, cela reste un gros lézard
placide. Un coup d’épée et il se dégonflerait comme
une baudruche. C’est d’ailleurs le rôle du chevalier en
armure. Mais c’est surtout cette princesse qui attire
tous nos regards. C’est elle qui mène le jeu. Devant
l’autel et ce retable, il y a cinq siècles les Templiers
de Bergheim en restaient pantois. Avoir fait voeu de
chasteté et subir le spectacle d’une telle beauté ! Le
supplice de Tantale… Taille fine, poitrine menue enserrée
dans le velours rouge de sa robe. Comment
suivre l’office religieux sereinement dans ces conditions
? Elle porte une couronne sur ses tresses dorées,
des tresses enroulées elles-mêmes en couronne. Un
mix entre la coiffure de Leia l’héroïne de Star Wars et
celle d’une ex-première ministre ukrainienne.
Bien campée au milieu du tableau, sur une sorte
d’estrade, une pierre plate entourée d’un semis de
petites fleurs, elle se tourne vers nous, elle baisse les
yeux, timide, mais elle nous regarde. Toute en courbes
légères. Un séduisant déhanchement, mais rien
d’aguicheur. Innocente, pudique, candide même. Ses
mains jointes se séparent et s’engagent dans un mouvement
charmant, comme pour une danse. Comment
dire ? Elle me fait fondre. Comme elle faisait
fondre l’acier trempé des moines soldats. Et elle réveille
en moi un petit air oublié, une vieille chanson
qui parlait de biche et de chevalier. Et de loup. Une
chanson douce que chantaient les mamans…


Charles le gardien amoureux, je le comprends.
Moi aussi j’aime les princesses blondes et les chansons
douces. Je sais, on me dit un peu nunuche. Mais
elle est si jolie la princesse de Bergheim.
« Et sa peau est douce,
comme la mousse des bois…
»
Et surtout je dois l’avouer, il y a peu, je suis sûr de
l’avoir aperçue dans la vraie vie, la princesse. Elle traversait
d’un pas aérien la rue d’Unterlinden. C’était
bien elle, et sa robe de velours rouge à la taille serrée
par une longue ceinture étincelante. Elle ne s’est pas
retournée. Je n’en ai encore parlé à personne, on se
moquerait de moi. Mais depuis, je rêve de la revoir,
peut-être pourrais-je croiser son regard. Elle est vivante.
Mais ces mots que monsieur Charles m’a jetés à la
figure… Tous les dragons de notre vie ne sont peut-être que ?


 

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9 novembre 2023 4 09 /11 /novembre /2023 11:05
Prix Erckmann Chatrian 2023

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6 octobre 2023 5 06 /10 /octobre /2023 09:38
La joie nous portera

La joie nous portera Prescilla Durand  

Collection Dépendances 164 pages

 

 

Mes Vosges
Années 2000

 

Le froid glaçait mes doigts. Heureusement, je ne conduirais
que pour l’aller. Derrière moi, Julie était un poids plume. Le
scooter rebondissait alors qu’elle entonnait la dernière chanson
à la mode en tordant du cul.
Il m’avait fallu des années pour réussir à la saquer, cette petite
blonde un peu trop rasta pour moi. Maintenant on faisait les
quatre cents coins des Vosges ensemble. Nos parents n’étaient
pas regardants, n’importe quelle excuse faisait l’affaire. On
filait où on voulait sur nos scoots’, aujourd’hui à deux sur le
mien pour économiser l’essence. On dormait où on pouvait,
quand aucune de nous deux n’était en état de reprendre le
guidon.
Il y a deux semaines on était montées jusqu’au chalet de
chasseur le plus paumé du monde. Et c’était pas une partie de
plaisir de grimper les côtes quand y’avait rien sous le capot. Nos
engins faisaient un boucan du diable. Le chalet était apparu
minuscule au milieu de la forêt immense, une ombre entourée
de neige. Avec les copains, on n’avait pas tenu longtemps
autour du poêle à bois qui nous enfumait, mais quand même.

Historique. La route était presque déneigée jusqu’au bout,
mais il y avait bien un mètre devant la porte.
La route défilait, la neige avait fondu cette semaine. Je me
méfiais tout de même des lignes blanches pour ne pas glisser.
Le père m’avait acheté une daube, les roues de ce scoot’
étaient deux fois moins larges que celles des autres de la bande.
J’étais tombée plusieurs fois, et dès le premier jour où je l’avais
essayé avec le daron sur le parking de l’Intermarché. Fallait
voir la gueule de la mère quand j’étais rentrée en sang.
Je ne lui avais rien demandé au père. J’aurais préféré une
mobylette moi, comme les garçons. Il me faisait toujours des
cadeaux trop chers que je n’avais pas demandés. Le pire c’était
qu’il avait un diplôme de mécano mais qu’il ne voulait pas
me le débrider. À cause de l’assurance, un truc comme ça.
J’atteignais difficilement les soixante à l’heure en descente, les
potes se foutaient de ma gueule.
Le vent me gelait les pieds maintenant, malgré les bottes. Il y
avait tout de même plus de trente minutes à faire à cinquante à
l’heure pour rejoindre les mecs. Heureusement, c’était presque
plat pour aller chez eux. Je n’avais jamais entendu parler de
ce patelin avant. Vecoux. Oui, pas de problème, je viendrai,
j’avais dit à Ben.
On s’était rencontrés à un concert. Julie m’y avait traînée.
Les concerts de reggae c’était pas mon truc. Mais c’est vrai
qu’après avoir taxé des lattes sur des joints à droite à gauche,
on était bien. Elle a reconnu un mec qu’elle connaissait, on
s’est posées avec lui et sa bande.
Les potes de Ben voulaient qu’il embrasse Julie mais il
n’arrêtait pas de me fixer, ses yeux tout marrons brillaient dans dans
la salle sombre. Il avait ce petit sourire en coin qui m’avait
fait craquer. Il portait un t-shirt de rock. Aucune idée du
groupe, mais ça se voyait tout de suite que c’était plutôt un
métalleux comme moi. Je n’ai pas attendu qu’on papote pour
l’embrasser, à l’arrache, devant tout le monde, avant même
d’avoir échangé un mot. Après je me suis rassise, comme si
de rien n’était et il a continué à me regarder avec ses yeux qui
brillaient. Ce n’est qu’après qu’il m’a demandé comment je
m’appelais, « Lilly » j’ai répondu alors qu’il notait mon numéro
dans son portable.
Le lycée avait commencé, je me sentais un peu pousser des
ailes. C’était la vraie vie, enfin.

 

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