La mal-vie MJ Gonand Stuck Collection Borderline 228 pages 22 €
Lundi 22 septembre 2008
La grisaille m’enferme depuis deux mois. La lumière décline. Ma cellule alors rapetisse. La gardienne vient me chercher. C’est une costaude aux airs de brute mais qui n’en est pas une. C’est pourtant bientôt la fin des heures de parloir. J’entends les pas tristes des visiteurs qui rejoignent la sortie. Ma surveillante préférée m’annonce une visite au parloir. Ce serait quelqu’un qui veut m’aider à sortir de là.
Je suis habituée à mes désordres intérieurs. Je n’ai plus peur. Je ne me sens ni faible ni opprimée. Aussi je vais vite éconduire le courageux intercesseur et reprendre mes lectures.
Je la reconnais immédiatement. Une grande bringue à la tignasse blond vénitien, aux yeux vert pâle, au teint moucheté de rousseurs. En vingt ans, elle n’a pas beaucoup changé. Elle se lève quand j’arrive, me tend la main, se présente : Maître Laveline !
D’avocate je ne veux point. Je me sens capable de décrire la scène. D’ailleurs je l’ai fait auprès du juge. Mais sûrement pas d’expliquer le pourquoi du comment. Encore moins de me défendre. Mon mari est le seul capable de m’envoyer un défenseur susceptible de m’amadouer. Il a toujours fait ce qu’il fallait pour tenter d’arranger le coup. Mes coups.
La fille me demande si je me souviens. J’étais son prof en seconde et en première. Même que je la trouvais un peu brouillonne dans ses devoirs de français.
Je me rappelle surtout que comme déléguée de classe, Angèle jouait son rôle à merveille. De là est peut-être née sa vocation. Aux conseils, elle défendait avec ardeur ceux qui le méritaient. Moi, je ne mérite pas.
Nous sommes assises l’une en face de l’autre. Elle sourit. Un joli sourire, presque enfantin. Sans doute devine-t-elle mes réticences. Aussi elle précise illico qu’elle ne veut en aucun cas me contraindre. Elle comprendrait mon refus de l’accepter comme conseil. Avec une ancienne élève, pas facile de raconter ce qui vous a amenée à la… chute. Il faudra en effet remonter dans le temps pour faire comprendre aux autres. Car il y aura les autres, de toute façon. Ce sera difficile mais elle saura être patiente. Je dois essayer de prendre nos rencontres comme des conversations amicales.
Là, elle y va un peu fort. La chute. Le mot me fait tiquer. Je n’ai pas vu cette fille depuis deux décennies. Jamais je ne parlais de moi avec mes élèves. Je n’ai donc aucune envie qu’elle se faufile dans ma vie. Je n’ai aucune envie de me disculper ou de me trouver des excuses. Je reconnais d’emblée ma culpabilité.
Elle enfile sa veste en jean et saisit sa sacoche. La semaine prochaine, elle reviendra. En attendant, je dois réfléchir. Elle sait d’expérience que parler me ferait du bien. Et mon mari serait tellement soulagé si j’acceptais. D’ailleurs il a beaucoup insisté pour qu’elle se décide à me rencontrer.
Je me doutais bien que mon mari l’avait appelée à la rescousse. La rousse sait y faire. Son argument ne fait pas flop. Michel ne méritait pas toute cette chienlit. Il en avait déjà bavé avec mes égarements de jeunesse. Peut-être suis-je encore capable d’atténuer sa peine. Quel mot saugrenu pour la prisonnière !
Angèle appelle la gardienne qui me raccompagne à ma cellule de 9 m2. Je suis chanceuse. J’ai échappé au centre pénitentiaire surpeuplé pour atterrir à la maison d’arrêt de ma ville. Normalement, elle accueille les détenus coupables de délits mineurs ou en attente de jugement. Moi, je suis accusée. J’essaie de reprendre ma lecture. Les mots s’emmêlent. Le sens m’échappe. Je pleure. Ce sont mes premières larmes depuis mon incarcération en juillet.
Après deux nuits de réflexion et un appel insistant de Gabrielle ma fille fragile, j’accepte de revoir Angèle Laveline. J’ai toujours aimé raconter des histoires. Mais raconter la mienne d’histoire, surtout la fin, c’est une autre paire de manches. La cause de la mort est facile à identifier. Les empreintes parlent. Les hématomes aussi. Mais je n’ai rien pu expliquer au juge. Les faits, juste les faits bruts. Si je décris l’engrenage, si je remonte loin dans le temps, distinguer clairement la victime du coupable est parfois compliqué. Ça me permet à l’occasion d’éloigner la mauvaise conscience. Mais comment la justice et les gens vont-ils appréhender ce fatal enchaînement de circonstances ? Les autres, y a rien à faire, ils existent.
Je pose mes conditions. Nos conversations devront être enregistrées et je pourrai les réécouter à volonté. Il faudra que l’avocate ait mon aval pour utiliser mes mots dans sa défense.
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