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6 octobre 2023 5 06 /10 /octobre /2023 09:38
La joie nous portera

La joie nous portera Prescilla Durand  

Collection Dépendances 164 pages

 

 

Mes Vosges
Années 2000

 

Le froid glaçait mes doigts. Heureusement, je ne conduirais
que pour l’aller. Derrière moi, Julie était un poids plume. Le
scooter rebondissait alors qu’elle entonnait la dernière chanson
à la mode en tordant du cul.
Il m’avait fallu des années pour réussir à la saquer, cette petite
blonde un peu trop rasta pour moi. Maintenant on faisait les
quatre cents coins des Vosges ensemble. Nos parents n’étaient
pas regardants, n’importe quelle excuse faisait l’affaire. On
filait où on voulait sur nos scoots’, aujourd’hui à deux sur le
mien pour économiser l’essence. On dormait où on pouvait,
quand aucune de nous deux n’était en état de reprendre le
guidon.
Il y a deux semaines on était montées jusqu’au chalet de
chasseur le plus paumé du monde. Et c’était pas une partie de
plaisir de grimper les côtes quand y’avait rien sous le capot. Nos
engins faisaient un boucan du diable. Le chalet était apparu
minuscule au milieu de la forêt immense, une ombre entourée
de neige. Avec les copains, on n’avait pas tenu longtemps
autour du poêle à bois qui nous enfumait, mais quand même.

Historique. La route était presque déneigée jusqu’au bout,
mais il y avait bien un mètre devant la porte.
La route défilait, la neige avait fondu cette semaine. Je me
méfiais tout de même des lignes blanches pour ne pas glisser.
Le père m’avait acheté une daube, les roues de ce scoot’
étaient deux fois moins larges que celles des autres de la bande.
J’étais tombée plusieurs fois, et dès le premier jour où je l’avais
essayé avec le daron sur le parking de l’Intermarché. Fallait
voir la gueule de la mère quand j’étais rentrée en sang.
Je ne lui avais rien demandé au père. J’aurais préféré une
mobylette moi, comme les garçons. Il me faisait toujours des
cadeaux trop chers que je n’avais pas demandés. Le pire c’était
qu’il avait un diplôme de mécano mais qu’il ne voulait pas
me le débrider. À cause de l’assurance, un truc comme ça.
J’atteignais difficilement les soixante à l’heure en descente, les
potes se foutaient de ma gueule.
Le vent me gelait les pieds maintenant, malgré les bottes. Il y
avait tout de même plus de trente minutes à faire à cinquante à
l’heure pour rejoindre les mecs. Heureusement, c’était presque
plat pour aller chez eux. Je n’avais jamais entendu parler de
ce patelin avant. Vecoux. Oui, pas de problème, je viendrai,
j’avais dit à Ben.
On s’était rencontrés à un concert. Julie m’y avait traînée.
Les concerts de reggae c’était pas mon truc. Mais c’est vrai
qu’après avoir taxé des lattes sur des joints à droite à gauche,
on était bien. Elle a reconnu un mec qu’elle connaissait, on
s’est posées avec lui et sa bande.
Les potes de Ben voulaient qu’il embrasse Julie mais il
n’arrêtait pas de me fixer, ses yeux tout marrons brillaient dans dans
la salle sombre. Il avait ce petit sourire en coin qui m’avait
fait craquer. Il portait un t-shirt de rock. Aucune idée du
groupe, mais ça se voyait tout de suite que c’était plutôt un
métalleux comme moi. Je n’ai pas attendu qu’on papote pour
l’embrasser, à l’arrache, devant tout le monde, avant même
d’avoir échangé un mot. Après je me suis rassise, comme si
de rien n’était et il a continué à me regarder avec ses yeux qui
brillaient. Ce n’est qu’après qu’il m’a demandé comment je
m’appelais, « Lilly » j’ai répondu alors qu’il notait mon numéro
dans son portable.
Le lycée avait commencé, je me sentais un peu pousser des
ailes. C’était la vraie vie, enfin.

 

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