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26 novembre 2015 4 26 /11 /novembre /2015 17:59
Squatteurs' story
Squatteurs' story

Squatteurs'story / Nancy seventies d'Alexis Gleiss

(Prix des lecteurs de Lorraine 2010)

« Par un beau soleil printanier, Monsieur Bertin, en sa qualité
de maire de notre ville, a inauguré hier après-midi, en présence
de nombreuses personnalités de la région, la tour Ville Vieille au
coeur du vieux Nancy.
« On se souvient des incidents qui avaient éclaté voici plus
d’un an, alors que le projet n’était encore qu’à l’étude. Des riverains,
une minorité il est vrai, avaient résolument manifesté leur
mécontentement. Aujourd’hui, sans doute ont-ils accepté la présence
de cette grande voisine. La cérémonie, en tout cas, s’est
déroulée dans le calme. À peine si quelques quolibets ont jailli
d’un groupe de curieux au moment où le maire coupait le ruban
inaugural et les forces de l’ordre stationnées à proximité n’ont pas
eu à intervenir.
« Souhaitons que cette nouvelle tour redonne du dynamisme
à notre ville vieille et qu’un regain de prospérité lui rallie les dernières
réticences. De nombreuses boutiques, un véritable centre
commercial, ouvriront sous peu au pied de l’édifice et les bureaux
des diverses sociétés déjà installées draineront dès demain de nouveaux
visiteurs dans les rues pittoresques de ce vieux quartier. On
ne peut que se féliciter du mariage de l’ancien et du moderne si
notre ville peut en bénéficier ».
Extrait du Courrier Lorrain Nancy



1
Nancy, ville vieille.
Patrick gara son vieux break 3 CV Citroën à l’entrée de la rue
Saint-Michel. Il coupa le contact et attendit quelques secondes.
Un coup d’oeil à sa montre. Trois heures du matin. Pas un chat
dans la rue. Il s’éjecta, dépliant son mètre soixante dix-huit,
claqua la portière, juste assez fort pour qu’elle ferme d’un coup.
On ne distinguait que ses yeux brun vif dans son visage mangé
par les poils.
Le crachin de novembre le fit frissonner. Le jeune homme
remonta le col de fourrure acrylique de son blouson de cuir et
tira sur son jean qui lui rentrait dans les fesses.
Par le hayon arrière du break, Patrick dégagea l’étui de skaï
noir qui contenait sa contrebasse et se mit en marche d’un pas
rapide, tricotant de ses longues jambes maigres. Ce serait quand
même plus pratique de jouer de la flûte. Il en avait marre de
trimbaler cet engin.
La rue Saint-Michel était une des rues chics de la ville vieille.
Elle comptait quelques professions libérales, leurs maisons cossues
dormaient à volets fermés, des murs surmontés de grilles
délimitaient les parcelles de chaque propriété. Plus loin, rue de la
Source, du Cheval Blanc, de la Charité, les immeubles vétustes
pullulaient et la population relevait du sous-prolétariat de tous

les pays ou presque. Plus les chômeurs intermittents, les proxénètes
occasionnels, alcooliques récidivistes et prostituées notoires.
Quelques intellectuels aussi, enseignants pour la plupart,
habitaient le quartier pour le charme de ses vieilles pierres et de
ses petits loyers. Quant aux commerçants, Grande-Rue et place
Saint-Epvre, à l’ombre de la flèche de l’église du même nom, ils
prospéraient sournoisement, pratiquant des prix plus élevés qu’au
centre ville.
Patrick s’arrêta devant le dernier pavillon avant le terrain vague,
isolé au bout de la rue. Au 41. Le numéro était encore lisible
au fronton de l’entrée. La villa, entourée d’un jardinet envahi par
les broussailles, s’élevait sur deux étages et semblait abandonnée,
tous volets clos.
Le jeune homme poussa la grille entrouverte, juste assez pour
se faufiler avec son instrument. Le bruit strident et insistant des
gonds rouillés lui arracha une grimace de contrariété. Première
chose à faire demain, songea-t-il, graisser cette foutue porte. Avec
d’infinies précautions, il repoussa la grille qui émit la même note
une octave en-dessous.

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