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2 avril 2014 3 02 /04 /avril /2014 15:55

INFILTRATION par JM Brice

ETT / Territoires Témoins Collection Borderline

LIRE LE D2BUT

1.1




Juillet n’a jamais été aussi chaud. Bob frissonne de
plaisir à la brûlure du soleil sur son dos. Il a laissé sa
voiture, une Clio fatiguée et maintes fois rafistolée,
à la fin du chemin carrossable, posé la clé de contact
sur la roue arrière droite et poursuivi le chemin en
short et tennis, armé de son appareil photo.
Il a plu tout ce printemps jusqu’en juin et la Moselle
encore gironde roule généreusement ses eaux
claires. Il longe la zone des étangs creusés par les
Carrières de l’Est dans la prairie, il y en a quatre,
grands. Les trois premiers, les plus anciens, reflètent
le bleu du ciel et frissonnent sous la brise ; quelques
halbrans patrouillent à distance respectable, la végétation
commence à se développer sur les rives.
Bob a entendu parler de ce projet de la municipalité
de Gerville-aux-Miroirs qui souhaite installer ici
une base de loisirs nautiques, pourquoi pas.


Le quatrième étang est encore en exploitation. Il
entend le bruit de la drague qui remonte inlassablement
le précieux sable rosé et les graviers. L’eau est
trouble, l’exploitation se rapproche dangereusement
de la rivière. Pour pouvoir aller aussi près l’entreprise
a dû bénéficier de bons appuis, elle a dû aussi consolider
la rive en plantant vite fait de nombreux arbustes
maillés par un filet de jute épais sensé retenir le
sable pendant l’enracinement. Bien entendu le gel,
les inondations et la sécheresse ont eu rapidement
la peau de ces pauvres végétaux et les crues de l’hiver
ont embarqué le filet dont on retrouve des morceaux
pourrissant sur la rive en aval, mais bon ! les chiens
aboient la caravane passe, et puis ces matériaux, le sable,
les galets concassés, sont absolument nécessaires
à la construction des équipements de la région, alors.
Bob se dit que cette balade est l’une des dernières
qu’il fera dans ce coin sauvage demain certainement
dévasté.
Bob en fait s’appelle Julien Robert, comme le frère
de l’artiste dit-il en blaguant, mais depuis le collège,
Robert, tout le monde l’appelle Bob, pas grave. A
trente-huit ans, malgré les fils blancs dans sa tignasse
châtain, il a toujours son allure d’adolescent sympathique
et les filles lui résistent rarement, mais aucune
n’est restée suffisamment longtemps pour l’attacher à
une vie bien réglée. Il a bien retapé la petite maison
que lui ont léguée ses parents, au milieu du village,
il fait son bois, son pain et ses légumes et après avoir
travaillé quelques années à l’usine de mécanique de
la petite ville voisine, il a préféré la liberté du statut
d’auto-entrepreneur. Habile de ses mains c’est le dépanneur
rêvé dont tout le monde a besoin pour la
maison ou le jardin. Sa clientèle se développe, mais
attention à ne pas se laisser déborder, Bob veut avoir
le temps de vivre, vivre ses copains, ses copines, vivre
ses passions : la musique, la lecture, la photo.
Ce matin justement, le temps lumineux se prête à
ce projet d’aller photographier sa Moselle, comme il
dit. Il traverse la prairie redevenue sauvage et fleurie
à foison de jaune, de blanc, de mauve, elle atteint la
rive ici légèrement surélevée et fouillée par le courant.
Il s’arrête et regarde le paysage qui s’étend devant
lui éclatant sous le soleil. A sa droite une longue
étendue d’eaux calmes comme un lac, qui reflètent
les rives, ce sont elles qui ont qualifié le village de
Gerville-aux Miroirs.
En aval la pente naturelle accélère le courant et
la largeur du lit divise la rivière en plusieurs bras
qui isolent des bancs de galets parsemés de végétaux
luxuriants. Plus bas, les bras se rejoignent pour un
large gué, puis la rivière unifiée reprend son cours au
pied des falaises de marnes et de leurs grands arbres
en surplomb.
Il est seul. Il a jeté un coup d’oeil vers le bosquet
là-bas mais Raymond, le vieux naturiste qui l’occupe
souvent l’été, n’est pas là et aucun signe ne montre
qu’il y soit venu récemment.
Bob s’engage dans le courant du bras principal. Il
a calculé son coup en amont du point visé sur l’îlot
d’en face et progresse dans le sens de l’eau. Au milieu
du courant l’eau fraîche atteint sa poitrine. Les bras
levés pour protéger l’appareil il avance à grands pas,
comme en apesanteur, porté par le flot, il adore cette
sensation. Puis il aborde la rive, progressant maladroitement
sur les gros galets glissants du fond.
Au sec les galets blanchis réverbèrent la lumière ;
le bruit de l’eau, la chaleur sur sa peau mouillée, le
privilège de la solitude dans ce lieu sauvegardé, ce
plaisir-là ressemble au bonheur.
Le temps de s’imprégner de la magie de l’endroit,
Bob se met en marche, lentement, sens éveillés, l’appareil
aux aguets. Malgré sa prudence il dérange les
oiseaux, deux hérons et deux canes colvert qui s’enfuient
tranquillement, et les inévitables petits gravelots
qui volètent de loin en loin. Pour une fois il ne
verra pas ce petit bijou de martin-pêcheur mais la
photo au téléobjectif du héron prenant son envol ne
sera peut-être pas mal.
Des bouquets de fleurs poussent dans les galets
comme semés par un paysagiste habité : asters, silènes,
onagres, gerbe d’or, impatiences, serpolet, les
graines déposées là par les crues ont profité de la chaleur
et de l’absence de concurrentes.
Dans une morte, de gros chevesnes prisonniers espèrent
avoir de l’eau jusqu’aux prochaines pluies et
tournent en rond.
Bob traverse le gué en équilibre sur le fond glissant
vers la plage de sable rose de la rive voisine qu’on ne
peut atteindre que de cette façon. Elle est protégée
par une forêt de renouées du Caucase et d’orties gigantesques
d’un côté, et d’abruptes falaises écroulées
de l’autre.
Sur le sable de la rive de petites coquilles blanches
comme des coques et quelques unios percés par
les hérons, des branches de saules tranchées par les
incisives des castors. Plus loin les pas d’un renard
côtoient les traces profondes laissées par une biche
solitaire ; Bob s’émerveille.
Au détour d’une touffe de graminées, son regard
est attiré par un objet noir, légèrement enfoncé dans
le sable, insolite ; une mallette genre Samsonite vintage
semble avoir été déposée là par le courant il y a
déjà quelque temps à en juger par les algues desséchées
qui la recouvrent.
Un peu intrigué malgré tous les objets hétéroclites
que la Moselle aime à semer sur ses rives, il prend par
, réflexe une photo de la mallette et s’accroupit, elle
est fermée mais les deux petites serrures ne résistent
pas lorsqu’il les sollicite. Il la dégage doucement et la
pose bien à plat sur les galets voisins. Les charnières
se rebellent un peu mais bientôt la petite valise livre
un tas de papiers secs collés entre eux, salis par leur
séjour dans l’eau, et dont beaucoup semblent effacés,
ainsi qu’une clé usb.
Assis sur les galets, toute magie envolée, Bob essaye
de déchiffrer quelques documents, mais le lieu
n’est pas propice à l’étude et il décide de rapporter la
mallette à la maison.

Infiltration par JM Brice  ETT / Territoires Témoins Collection Borderline 160 pages 15,00 €

Infiltration par JM Brice ETT / Territoires Témoins Collection Borderline 160 pages 15,00 €

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