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12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 19:37
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« Les filles maléfiques » Didier Fohr 

 Collection Borderline   ETT/ Éditions Territoires Témoins

 www.territoirestemoins.net

 

 

1

 

- Le coup du manteau ! C’était énorme. Je le sentais douter. Il était incertain. Il fallait ses mains sur moi. Je l’ai appelé. On jouait depuis des semaines par mail. Lui, il était marié et c’est le genre de type que tu ne peux pas imaginer, même pas une seconde en train de tromper sa femme. Là, j’ai eu un truc de femme sauvage. Il fallait que je le fasse chavirer. Je voulais sentir ses hormones s’affoler. Et pourtant, ce n’est pas mon genre non plus, tu le sais…

- Heu…

- Arrête ! Pas plus d’un homme à la fois, tu le sais bien, sinon on ne serait pas ici en train de discuter. 

Milie est probablement la plus belle femme du continent européen. Elle a des yeux salsa et des gros seins. Elle est penchée sur la petite table du restaurant. Elle froufroute avec ses trucs de fille. Quand elle parle, sa lèvre supérieure entame une drôle de danse avec celle du dessous. C’est bien. Il faudrait les manger, ces lèvres. Le type d’à côté semble tout proche de la montée astrale. Depuis une demi-heure déjà, il n’a rien perdu de la conversation et se contente de quelques relances hasardeuses en écoutant son interlocuteur. Milie parle de fesses depuis le début du repas, le type se tasse sur sa chaise et commence visiblement à ne plus supporter d’être en érection.   

 - Là, tu regardes mes seins ! Bon tu as le droit. Il faut que je te raconte le coup du manteau. 

 - Milie ! Si tu mets un décolleté aussi puissant, c’est quand même bien pour…

 - Pas toi ! Tu ne vas pas faire comme tous les mecs à penser qu’on ne cherche qu’à attirer les regards ! Si les filles mettent des décolletés, c’est qu’elles complexent sur leurs fesses.  

 - Hein ? 

 - Ça s’appelle la technique de la diversion. Pendant qu’on regarde le décolleté, on ne se fixe pas sur le reste. 

 - Donc c’est bien pour qu’on le regarde !

 - De toute façon, vous les regardez quand même. Donc, le coup du manteau ! On s’était déjà bien chauffés avec des mails calorifiques et je lui avais annoncé une surprise pour ce jour-là, à midi pile. J’ai attendu qu’il sorte de son bureau. C’était l’an dernier au mois de février. J’étais en face de la porte. Quand il est sorti, j’ai ouvert mon manteau. J’étais entièrement nue dessous. J’ai cru qu’il allait mourir. Il l’a refermé avec douceur. Il l’a ouvert encore. Heureusement personne n’est sorti en même temps que lui. Il avait un air de gamin pris en faute. Il est beau comme un dieu, tu ne peux pas y croire. 

 

Le type d’à côté est pris de tics nerveux à peine perceptibles. Cette fois, le restaurant est bondé. La serveuse, une créature, ondule derrière ses plats. Elle en glisse un devant Mathieu, déclenche un mouvement de fessier qui propulse l’ensemble de l’organisme vers d’autres tablées. Le sein droit frôle le visage du jeune journaliste. 

- Journée nichon ! rigole Milie.

- J’adore.

- Je sais !

- Vous avez fait quoi après ? Tu l’as planté là, tu lui as récité un passage de Giono ? 

- On est allé à l’hôtel, je n’aime pas ça, mais il y a des moments où… J’ai eu trois orgasmes. 

- Et lui ? 

- Je crois qu’il a simulé. 

 

Milie devient plus sombre. Cette fois, c’est le noir de ses yeux, deux grosses lampes led, qui parle. « Je crois que je n’ai pas réussi à lui donner du plaisir… On s’est revus plusieurs fois. Il bandait, mais ne jouissait pas. Et puis j’ai essayé un jour de le masturber. J’ai abandonné au bout de vingt minutes avec une bonne tendinite. Il était tout gêné. Moi je me caressais, j’ai eu le temps de jouir au moins dix fois ! »

 

Cette fois, le type est rouge comme une écrevisse atrabilaire. La serveuse revient avec une assiette pour Milie. 

- Et avec ta copine ? 

- Du feu.

- Raconte !

- Des trucs de fou, une vraie découverte. Elle fait des choses uniques dedans. Je voudrais t’expliquer. Elle contracte des organes que d’autres n’ont pas.

- Explique tout, je veux tout savoir, j’ai câlin ce soir avec mon mec, je dois trouver des nouveaux trucs. 

- Ok, mais on vient de se quitter. Comme quoi le sexe ne fait pas tout…

 

Le téléphone sonne. C’est le procureur. «  M. Launay, je fais un point presse à quinze heures, arrangez-vous pour être là. C’est du sérieux. A tout à l’heure ». 

Mathieu n’a pas eu le temps de parler. Milie est en train d’avaler une dernière bouchée de spaghetti carbonara. « La prochaine fois je te raconterai le coup de la main, à condition que tu m’expliques comment fait ta copine. Là, je file, j’ai un rendez-vous boulot important. Et puis j’ai une gamine malade. La maîtresse va m’appeler c’est sûr ».

Une bise qui claque, une odeur de fille, un chiffonnement d’étoffes diverses et elle disparaît. Mathieu s’assied un peu plus qu’avant. Le mec à côté le regarde comme si on venait de lui mettre un suppositoire au menthol. 

 

A la rédaction, c’est le calme plat. La vague post-prandiale, comme disait un toubib dans un congrès pour faire le malin. C’est le coup d’assommoir de la sortie de déjeuner. Taux de productivité insignifiant. Pierrot prend l’air inspiré les yeux plissés devant son écran. Un autre essaye de cacher la fenêtre Facebook. Deux autres discutent mollement, un gobelet de café à la main. Seul Gormeau, le chef, dans son bocal, semble affairé. Les sourcils contradictoires, les deux index en avant sur son clavier, il est assis sur une fesse. 

Gormeau est devenu chef comme on attrape une maladie, comme on hérite d’une dette. Il exprime tout cela par des plaques d’un rouge plus ou moins intense qui apparaissent en fonction des événements et des personnes. Là, c’est toute la paupière droite qui est enflammée. 

- Launay, tu saoules. Où en es-tu avec le dossier que je t’ai donné il y a deux jours ? 

- Il faudra encore attendre, j’en ai peur. Je fonce chez le procureur. Un point presse. 

- Si c’est pour l’opération tranquillité vacances ou pour une déclaration de plus sur la politique pénale du gouvernement, il attendra un peu. J’attends ton dossier ce soir. 

- Je suis fait-diversier, non ? Alors les faits divers d’abord. Là je crois que c’est du lourd !

- Tu me répètes sans arrêt que tu veux arrêter ! C’est justement l’occasion de faire autre chose. 

- En attendant, le proc m’a dit que c’était du sérieux. 

- Avec des gars comme toi, faire un journal relève vraiment du miracle quotidien. 

- Salut !

Tour rapide sur son bureau pour prendre un bloc, un appareil photo, deux ou trois stylos. Pas de message. La secrétaire est en train de fumer des clopes dans le « tuyé »*. Pierrot est exactement dans la même position qu’il y a deux minutes. Les deux mains posées devant le clavier. Une ride méchante sur le front. Un braque allemand devant une compagnie de sangliers. 

- Encore une page de la Bible, Pierrot ?

- Fais pas chier. Un sujet sur la nouvelle moto-crotte à Varengeville. Je galère. L’adjoint au maire s’est cru obligé de monter dessus pour la photo. 

- Grandeur et servitude mon Pierrot…

- Dégage ! Tu te crois plus malin avec tes feux de mobylettes ? On va boire un coup ce soir ? 

- Même plusieurs. Tu divorces encore ?

- Ouais, ras le bol. Je la quitte. Elle ne me comprend pas. 

- C’est une bonne idée.   

 

Pierrot, trente-quatre ans, ne supportait pas le mois de février. Tous les mois de février, c’était le grand ménage dans sa vie. Il devait avoir sept ou huit ans quand sa mère s’est jetée par la fenêtre devant lui pendant les vacances d’hiver. Depuis, c’était un séisme régulier, annoncé et attendu. Et si chaque printemps il retrouvait une dulcinée pour la vie, il reprenait son baluchon régulièrement juste après les fêtes. Mathieu était généralement embauché pour l’aider à déménager et accompagner quelques soirées arrosées. C’était comme ça. Sa stabilité à lui. 

- J’oubliais, le correspondant de Saint-Val t’a appelé deux fois. Il a juste dit qu’il y avait des gendarmes partout dans le bled et que personne ne voulait lui dire ce qui se passait.

- Saint-Val ? Bon, écoute, je vais voir… Mais là je file chez le procureur. 

 

Senis, le correspondant de Saint-Val, était au courant du moindre battement de paupière dans sa commune. Une coucherie, un accident, un collectionneur de boîtes de fromage, rien n’échappait à ses grandes antennes. Il faisait le journaliste comme on soigne un cheptel au milieu des 6000 âmes de la petite cité dortoir. Il était amoureux depuis toujours de l’épicière du village qui savait tout, elle aussi, en temps réel. Finalement Mathieu l’appelle en marchant vers le tribunal. 

 

- Salut Mathieu, je n’y comprends plus rien. Ça frétille depuis deux jours dans le village. Impossible de savoir quoi que ce soit. Les gendarmes ont tout verrouillé. Ils ont bouclé une maison abandonnée. Ils sont aussi dans le lotissement… On dirait un truc grave. Là, ça me dépasse… Le chef de brigade ne veut rien lâcher et même le maire répète qu’il ne peut rien dire.

- Et ton épicière ? 

- Elle va bien

- Non, elle sait des choses ? 

- Tu penses bien qu’elle m’aurait tout dit. Pour l’instant, c’est le black-out total.

- Je vais aux infos. Je te rappelle. Reste en alerte quand même. 

 

 

 

 

 

 

 

 

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