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6 mars 2025 4 06 /03 /mars /2025 14:22
La petite gardienne des mots

La petite gardienne des mots                                                                             Prescilla Durand Collection dépendances 150 pages 16 €

 

 

1

Nell était une enfant sage, mais qui claquait parfois la porte

de sa chambre. Sans rien dire, furieuse, elle la fermait de toute

la force de ses bras de petite fille. Elle s’écroulait sur son lit

et calmait ses larmes seule, ses cheveux blonds collaient à ses

joues. Elle avait envie de tout casser mais quand elle ouvrait

à nouveau la porte, il n’y avait rien de cassé et plus rien à

montrer. Elle souriait, agréable, aimable. Il n’y avait pas la

place pour crier ici, ni même courir. L’appartement était trop

petit. Il n’y avait jamais la place pour elle.

Jamais la place pour ses mots.

Elle aimait se rouler dans l’herbe, chanter sur les balançoires,

grimper aux arbres. Dehors, c’était toujours mieux. Elle

s’imaginait s’enfuir un jour, partir à l’aventure. Par la fenêtre

de la voiture de sa mère, où l’odeur de tabac imprégnait les

sièges, elle guettait les recoins au dehors où elle pourrait se

cacher un jour et ne jamais être retrouvée. L’entrée de la mine

ici, la maison abandonnée, là. Elle créait des histoires pour

sortir de son monde, tissait ses mots entre eux dans le calme de

sa chambre, mettait une porte entre elle et les autres.

Elle ne l’ouvrait que de temps en temps, et la claquait devant

quiconque la contrariait.

Tu as bien dormi ? on lui demandait souvent. Parce que

la nuit elle parlait, on l’entendait dans tout l’appartement,

crier plutôt que parler d’ailleurs. Elle criait tout ce qu’elle ne

pouvait crier le jour dans l’étroite chambre qu’elle partageait

avec sa soeur Agathe. Elle ne se souvenait jamais de ce qu’elle

avait dit, les mots disparaissaient dans la nuit, et il lui semblait

bien dormir pourtant.

Sauf peut-être ce cauchemar qu’elle avait fait plusieurs fois :

sa mère quittait l’appartement, Nell tentait de la retenir en

pleurant mais elle franchissait le seuil, ne se retournait pas,

Nell la suivait dans les rues, criait maman ! jusqu’à ce qu’elles

arrivent à une montagne, avec cette route infinie qui se perdait

dans les arbres, sa mère montait dans un bus qui partait immédiatement.

Nell regardait les roues s’éloigner, impuissante,

vidant toutes les larmes de son corps.

Pourtant c’était son papa qui partait.

Il s’absentait toute la semaine pour travailler. Les vendredis

on l’entendait rentrer à travers les vieilles vitres des HLM, le

bruit de son camion prenait tout le parking. Dans la cuisine,

ça sentait toujours bon le week-end et le beurre crépitait dans

les casseroles. Quand Nell entendait le cliquetis du verrou à

l’entrée, elle guettait depuis la porte de sa chambre pour deviner

s’il était de bonne humeur. S’il souriait, elle lui sautait dans

les bras pendant qu’il retirait ses énormes chaussures dans lesquelles

on aurait pu mettre trois pieds comme celui de Nell.

Autour de la table, il racontait les blagues qu’il avait

entendues la semaine à la radio. Des mots drôles qui donnaient

le sourire à tout le monde. Il regardait les dessins faits à l’école,

félicitait les Bons Points. Puis en un claquement de doigt

arrivait le dimanche soir, maman préparait les sandwichs que

papa mettrait dans une glacière pour embarquer dans son

camion pour la semaine. De la rosette, du jambon, du pâté

tartiné jusqu’au trognon. Des sandwichs qui faisaient une

demi-baguette, elle n’aurait jamais réussi à en manger même

la moitié d’un. Papa était grand et fort, comme ses grandes

chaussures, ses grands sandwichs, son énorme camion et sa

gigantesque voix.

Sa voix, elle devait aussi traverser les vitres c’est sûr. Souvent

elle envahissait tout l’appartement quand il n’était pas content.

Le mieux était de rester derrière la porte. Il ne fallait pas pleurer

ou s’énerver devant lui. Tout de même, il ne travaillait pas

toute la semaine pour nous retrouver fâchées.

Sinon, est-ce qu’il reviendrait ?

 

 

 

 

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