Hötel Les Embruns / Serge Radochévitch
Première partie
1
- Bonne nuit, patron !
- Bonne nuit, Valentin. A lundi ! Valentin sortit, respira un
grand coup. Ça faisait du bien, après toute une journée de travail
au restaurant. C’est que le samedi, c’est blindé. Il s’engagea dans
les petites rues étroites de la ville basse. Un moment, il longea
le lac, s’arrêta. Clarté de la lune et des étoiles, l’eau scintillait.
Petite nostalgie. C’est là qu’il avait vécu et il s’apprêtait à partir.
Avec un bon paquet de fric. Mais nostalgie quand même. Au téléphone,
il avait été net et précis, formulé ses nouvelles exigences.
L’autre n’avait pas trop protesté, sinon pour la forme. Oui, un
sacré paquet de fric. Et soudain, une bouffée d’angoisse. Avait-il
fait suffisamment attention ? Etait-il resté discret ? Il lui semblait
bien que oui. Toutes ces précautions, il pouvait partir tranquille.
L’angoisse avait disparu, remplacée par une exaltation joyeuse.
De fait, il était content de partir. Parce qu’il n’avait jamais eu le
choix. Jamais. Une mère qui s’était barrée quand il avait huit ans,
le laissant avec son père, complètement givré, celui-là, alcoolo,
violent, elle avait bien fait de foutre le camp, mais tu aurais dû
m’emmener, parce que... parce que tu n’étais qu’une salope qui
m’avait laissé avec un salaud de taré, qu’a fini par pourrir en taule.
Et moi, qu’est-ce qu’on a fait de moi, hein, ma chère maman, tu
ne t’es jamais posé la question ou cherché à savoir. Puisses-tu être
crevée. Famille d’accueil. J’y suis resté deux ans. Et puis, on m’a
retiré. Incompatibilité d’humeur, qu’ils ont dit. La deuxième, ma
deuxième famille je veux dire, ça a été ma chance. Marcel s’occupait
des chevaux, le dressage et la monte, dans un centre équestre.
Il s’est trouvé que j’avais un don, je savais instinctivement m’y
prendre avec les chevaux. Marcel m’a appris tout ce que je devais
savoir. Alors, quand une école d’équitation s’est installée dans le
coin, j’ai pu me faire embaucher. Belles années. Mes meilleurs
souvenirs. Jusqu’à ce que je me fasse virer. A cause d’une connasse
de propriétaire qui n’avait pas supporté, ni pardonné que j’arrête
de la baiser. J’avais cru que je pouvais choisir. Trop jeune, trop
con.
Maintenant, employé à l’hôtel-restaurant Les Embruns, lui,
Valentin Munez, trente-cinq ans, célibataire et de la hargne à
revendre. Alors, quand l’occasion s’était présentée, il n’avait pas
hésité.
Il arriva place des Thermes. Il habitait là, l’immeuble juste en
face. Mais qu’est-ce qu’il fait, ce con ? Une voiture, garée contre
le trottoir, en face de lui, avait allumé pleins phares et l’épinglait
comme un vulgaire lapin. Il mit une main en visière, pas gêné
celui-là ! Connard ! Il vit quelqu’un sortir de la voiture, il allait lui
dire... un coup terrible à la tête, Valentin s’effondra.