Marie 4 novembre 1943 Thomas Degré > ETT/ Territoires Témoins Collection Dépendances.
Préface
Peu nombreux, mais ô combien émouvants, sont les témoignages
de ceux qui n’ont pas échappé à la Shoah et qui ont
écrit ce qu’ils ressentaient au moment même où ils le vivaient.
Plus nombreux sont les témoignages de ceux qui ont traversé
la Shoah et lui ont survécu. Rares sont les romans qui avec
sensibilité, délicatesse et pudeur abordent ce domaine dont
n’émerge souvent que l’horreur absolue dont il est porteur.
Le roman de Thomas Degré tient à la personnalité de
son héros, François, qui n’est pas un héros, mais un Parisien
d’adoption, originaire de la Creuse, où il a passé son enfance ;
un jeune homme solitaire inapte à un bonheur qu’il fuit dès
qu’il risque d’être submergé par lui et qui ressent la panique
le gagner à l’idée de le perdre. De retour dans la Creuse chez
son père - le récit se situe en 1981 -, il découvre une photo
datant de 1943 où il se reconnaît avec trois autres enfants,
Georges, Pierre et Marie. Il apprend qu’il s’agit de trois petits
juifs qui ont été déportés et que Marie avait été son inséparable
amie et son premier amour. Il partira alors à la recherche de
l’inexplicable amnésie qui l’a privé du souvenir de Marie ; il
en découvrira la raison et il comprendra enfin pourquoi il
s’était privé d’un bonheur qu’il finira par partager avec une
autre Marie.
L’enquête que François a menée pour apprendre la vérité
l’a conduit au Mémorial du martyr juif inconnu de 1981,
aujourd’hui Mémorial de la Shoah ; chez les Amis de Yad
Vashem et chez moi-même. Il dépeint remarquablement les
« braves gens » de la Creuse, les Justes qui ont sauvé tant de
Juifs pourchassés. Grâce à François, les enfants Deutsch, dont
j’ai publié la photo il y a plus de vingt ans, accèdent à une
existence posthume plus riche que celle de la vision de leurs
seuls visages et de leurs noms dans un mémorial. C’est le
miracle du romancier que de ressusciter ces ombres qui ont
à peine eu le temps de vivre quelques années avant de périr
assassinées par la haine anti-juive. Merci à Thomas Degré
d’avoir écrit ce beau et grave roman.
Serge Klarsfeld
17 janvier 2017
Note de l’auteur
Il faut croire qu’après De Budapest à Paris, récit autobiographique
publié en 2012, je n’en avais pas tout à fait terminé avec
l’histoire de Nicolas Deutsch, un homme que j’ai bien connu.
Voilà donc cette fois un roman inspiré du drame qu’il a subi et
qui avait nourri le récit. Un roman où il est question d’amour,
de culpabilité, de mémoire abolie et de souvenirs libérateurs. Un
roman qui est aussi un hymne de reconnaissance aux Justes et à
tous les héros de l’ombre qui savent tendre la main aux victimes
de la barbarie, de toutes les barbaries.
Si le coeur de l’intrigue est, à quelques détails près, authentique,
tout le reste est invention. J’ai, en particulier, permuté pour les
besoins de la fiction les années de naissance de Marie et de Pierre,
deux des trois enfants de Nicolas Deutsch. Tous trois ont été
déportés et gazés à Auschwitz avec leur mère et leur grand-père.
Que me soit pardonnée cette entorse à la réalité.