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12 mai 2013 7 12 /05 /mai /2013 18:07

" La pillerie de Constantinople " Gilles Voydeville Collection Locutio  18,00 €

 

 En route vers Rome.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

    Par un beau matin de l’Avent de l’an 1197 après l’Incarnation de Jésus-Christ, moi, Jehans de Rupt de Ville commandeur du Temple, me mis en la Mer Levantine et quittai le port de Saint- Jean-d’Acre du royaume de Jérusalem. Les rayons de l’aube éclairaient la muraille d’une douce lumière, pareille à cette clarté d’ambre que donne chaînette à façon de fleurs au cou d’une pucelle. Sous le ciel encore sombre, la mer brillait de moult bouillons qui déferlaient sans cesse de vagues moutonnières. L’écume étincelait comme mille colliers jetés au large puis venait s’éteindre sur le sablon. Un feu marin qui mourait dans la terre comme un être qui a brillé et puis s’en va dessous… Nous sortîmes du port à la rame. Pour mettre à profit le vent qui grondait, le maître-nautonier1 fit dresser les voiles bien hautes. L’air et les rayons naissant s’y entonnèrent et le galion se mit à filer comme un cheval au trot. Après nous fûmes trop vite au large de cette belle terre. Le grand conseil du Chapitre de l’ordre du Temple s’était réuni et m’avait mandé pour une mission outremer. Derechef je quittai le royaume de Jérusalem comme voici passés cinq ans. Cette fois, le coeur gros et plein du deuil de notre bon roi Henri de Champagne. Et surtout, il faut que je l’avoue, au regret de me séparer de sa veuve la reine Isabelle, en ayant trahi le roi et mes serments. Chaque jour je priais des mâtines aux vêpres, pour que Notre Seigneur me pardonnât ce mortel péché. Je me disais l’avoir commis pour la sauvegarde du royaume. Mais au fond de mon âme je n’étais pas certain que cette excuse fut si utile à la Sainte Terre. J’avais assouvi ma passion de la chair et je sentais maintenant le fer rouge du remords qui pénètre. Mon seul espoir de pardon était de prier Notre Seigneur. Indigne et sachant le déshonneur que je Lui avais fait, je m’en remis à Sa Divine Bonté pour ne point me désespérer de penser que mon âme était morte.

    Les vents soufflaient fort. La nef nageait bon train et nous atteignîmes l’île de Chypre en deux jours. Quand nous arrivâmes assez près, je vis cette terre avec une sourde haine car le prudhomme qui y régnait était Amaury de Lusignan : roi de Chypre et de Jérusalem et nouvel époux de la reine Isabelle… Jalousie est male pensée qui vous tord le coeur plus assurément qu’un vin aigre vous perce les boyaux. Je n’imaginais point qu’un tel sire, aussi riche et haut qu’il fût, puisse entrer dans le lit d’Isabelle et lui fasse ce que amour veut... Et je doutais qu’elle puisse s’éjouir un instant en s’offrant à cet homme… Fatuité de la pensée obscurcit la raison d’un homme plus fort que le choc d’une masse turque sur son heaume. Et le moment d’après je craignis la superfluité des sentiments de femelle qui s’écaillent plus vite que le tain d’un miroir et nous éloigne de leur coeur sans que nous y voyions goutte. De noirs desseins me traversaient la cervelle et quand nous passâmes non loin du port de Limassol, je demandai au nautonier de me débarquer. Mais sa route ne prévoyait point de mouiller en ce lieu et il ne se dérouta. Alors je priai pour que nous heurtions un banc de sablon qui nous échouerait. Comme le fit le galion du roi Richard quand nous vînmes tantôt au secours de la Sainte Jérusalem que Saladin avait prise. De cet écueil Richard d’Angleterre fit une conquête qu’il donna à Amaury de Lusignan. Et ce jour d’hui, elle donne au Lusignan du pouvoir et des avantages dont il use pour usurper un lit qui m’est cher. Ainsi va ma vergogne, ainsi va mon désarroi. Cette adversité que Notre Seigneur m’envoya en ce royal ennemi, fut sans doute une aubaine qu’Il m’offrit pour que je garde une chance de salut dans l’au-delà. J’avais l’âme plus corrompue que les fers d’un cheval par le sel par mon péché d’avoir souillé la royale chair. Par ma concupiscence pour ce corps gent et gracieux, je m’étais éloigné du droit chemin de l’abstinence. Par ma grande admiration pour cet esprit clair, j’avais oublié les interdits de la terre. Ce désir de femme qui m’avait occupé et de corps et de membres, m’avait perdu pour Notre Créateur. Je crois que c’en eût été fait de ma félicité si cette mission du Temple n’était venue pour m’éloigner de mon aimée. Mon âme s’était abîmée par trop de vaillance de corps et de coeur pour l’amour d’une dame terrienne. Il fallait surseoir à cette débauche de sentiments et de ribauderie en m’envoyant paître en Occident. Alors que l’on m’avait bien enseigné de réserver la grande célébration d’amour pour Notre Seigneur et Dame Dieu, j’avais péché en aimant trop ce siècle et ses joyaux : mais comment ne pas adorer une dame aussi pure que la rosée avant qu’elle n’abreuve la fleur ? Aussi haute et noble qu’elle fût, j’avais commis une forfaiture car je l’avais aimée comme une créature céleste. Ainsi je m’étais rendu parjure et mécréant par une dilection que j’aurais dû réserver à Dieu. Car donner un amour divin à la gent humaine nous fait détester du ciel qui nous damne à juste raison pour idolâtrie.

  Voguant sur la Mer Levantine je pensais que, pour me présenter devant Lui au jour du Jugement, je devais expier ici-bas mes honteux péchés. Il fallait que je souffrisse plus et ma pénitence commençait dans ce galion qui m’emmenait vers l’Occident. Mon coeur était gonflé de chagrin et mes yeux de larmes à pleurer. Et mon âme s’emplissait de la crainte de brûler dans les sarments et les braises qui font l’Enfer, d’y tressaillir des morsures des flammes mais surtout de s’y ronger des tourments de la disgrâce.

 

 La Pillerie de Constantinople
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