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18 décembre 2017 1 18 /12 /décembre /2017 10:39
La presqu'île aux Oisanges

 

 

Princesse en son royaume

 

 

 

 

Avec Alice, l’automne venu, nous allions au parc de la Pépinière,

ramasser les feuilles craquantes, les belles jaunes et les

toutes rouges, pour en garnir sa chambre. Cette moquette végétale,

posée en douce, était tolérée un jour ou deux par sa

marâtre. Le roi Karl était maintenu dans l’ignorance de cette

faute caractérisée d’hygiène. Mais peut-être faisait-il la sourde

oreille car la princesse Alice, sa fille bien-aimée, avait acquis

tous les droits depuis le décès de sa mère, la malheureuse Agathe,

empoisonnée par Laure, la blondasse qui la détrôna.

 

Les verts paradis sont éphémères, et les princesses aux pantoufles

de vair subissent les agressions de grandes personnes

sensées pour qui les feuilles mortes sont des déchets… J’entends

encore la voix cristalline de Laure, réprimandant Alice...

Dans quarante-huit heures, ces nids à microbes doivent être à

la poubelle, n’est-ce pas ?… Il paraît que les contes constituent

un vaste réservoir commun à toute l’humanité. Cependant,

dans les six cents livres de la rentrée littéraire, n’en figurent

pas. Le genre est obsolète. Ou alors c’est moi qui le suis. Mon

imaginaire est probablement erroné. Moi, l’adulte facétieux

qui vient régler ses contes avec sa jeunesse.

 

Je m’appelle Julien. Un prénom stendhalien tombé dans le

domaine public. Porté par beaucoup d’hommes entre vingtcinq

et cinquante ans. Il m’avait semblé qu’en laissant filer le

temps, l’air de rien, sans souffler la moindre bougie, je serais

épargné, mais les années me sont tout de même passées dessus,

les scélérates ! J’ai cinquante ans bien sonnés. Alice a sans

nul doute cessé d’être une petite altesse choyée. Et je n’ai plus

l’âge de faire le mariole pour qu’elle rigole. Pierrot m’a prêté

son ordinateur, à moi qui m’exprime plutôt avec des pinceaux

et je suis en train d’écrire quelques mots pour la postérité. Il

était une fois… plusieurs fois même... Ce conte contemporain,

- voire décompte - se loge dans les brumes et les ors de

la Lorraine où je débarque, en cet octobre 2015, après une

longue absence.

 

Attablé à la terrasse du Foy, place Stanislas, je savoure

l’amertume de l’automne parvenu à maturité, comme moi.

Quelques feuilles indisciplinées, échappées des tilleuls qui garnissent

le parc proche se posent comme des papillons fanés

sur les pavés blancs bien polis. Du temps où j’étais étudiant,

cet espace était salement goudronné et on y garait sa voiture,

quand on en avait une, jusqu’au pied de la statue de Stanislas

Leszczynski, serviteur des arts, à qui la Lorraine est reconnaissante,

selon l’épitaphe. Je me remémore les rendez-vous que

j’ai donnés sur ces marches. Satanée mémoire sélective qui me

fait me souvenir surtout de ceux qui ont tourné court. J’attendais,

assis sur la pierre froide avec mon vélo fixé à la marche

par une pédale. J’attendais une femme qui m’avait déjà oublié.

Café ? s’enquiert le serveur perspicace à qui j’ai fait signe.

 

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